Ce monde existait encore, pourtant, il était là, sous ses yeux. Mais son existence supposait aussi la possibilité de sa fin. Car, bientôt, il faudrait partir. Quitter ce balcon ouvert sur la mer. Quitter ce jardin redevenu sauvage après avoir été fertile. Quitter en lui la part d'enfance qui ne serait plus jamais.
Les mains serrées autour d'un thé brûlant, elle en respirait la vapeur, y puisait une forme de délicieuse langueur et de douce amertume, un envoûtement, un réconfort lumineux.
_ Au début, les insurgés voulaient la liberté, reprit-il. Puis ils ont voulu faire tomber le régime. Maintenant, ils veulent diriger le pays, je vois jaillir la mort tout autant de mon camp que de l'autre. Je ne sais plus qui croire, comment croire encore.
Et pourtant, il pressentait qu'in pouvait rien faire d'autre que de continuer, se battre, se cacher, se replier, tenir ses positions, cherche de quoi manger et boire, tenter de dormir, et puis toujours attendre, attendre, attendre. Une obscure raison le retenaitlà, quelque chose qu'il ne savait nommer et qui pourtant le dévorait, jour et nuit, dans la gorge brûlante de sa ville en guerre.
Je me demande souvent, reprit-t-elle, ce qu'il y a à écrire de plus que ce qui a déjà été écrit, dit et vu, que ce qui appartient déjà à la pensée collective humaine. Des histoires de lutte, de résilience, d'effondrement, de solitude.
Une profondeur de plus, un supplément d'âme donné à leurs voyages, pour s'accrocher à quelque chose de stable,où qu'ils soient sur le globe, aux confluents de l'errance perpétuelle. C'était le désir qui les tenait, les rassemblait, les aimantait, cet indépassable désir. Le dernier mot n'avait pas été dit, ce soir-là, et ne le serait probablement jamais. Ils ne s'étaient pas posé la question de savoir s'ils étaient censés être ensemble, s'ils étaient censés s'aimer. Ils étaient repartis chacun vers leur prochain avion, alourdis d'une once de chagrin et de renoncement supplémentaire.
En perdant ses parents, elle avait perdu le lien avec les patries de ses origines, avec ce qui la rattachait aux générations du passé. Elle n'était plus ni de Russie ni de France. Elle était seule, en exil. Irréductible. Libre.
Comment était-il possible de dire adieu ? De partir et de savoir qu’il n’y aurait, sans doute, jamais de retrouvailles ? Que ces moments de vie perdureraient dans sa mémoire sans que jamais ils ne soient réactivés par la rencontre renouvelée des êtres avec qui elle les avait vécus ?
Talal regardait Liouba qui sautait légèrement d'une racine à l'autre, et qui avait l'air d'appartenir à cette forêt, tombée d'une branche peut-être, créature des bois.
Moscou et ses ciels nébuleux, la neige qui tombe dès le mois d’octobre, donnant au jour les couleurs de la nuit, et à la nuit la douceur du coton.
Ils n'avaient pas de mots pour décrire l'horreur. Et il avaient entendu un cri dans leur silence, cri d'agonie de ne pouvoir s'étreindre, de ne pouvoir être ensemble.