Devant moi, l'Arbre des naissances : 1780 – 1804 – 1834… 1952 – 1981 – 2005 ! Des noms, des dates…
-Dieu rend les rivières troubles.
-Pourquoi, Becky ? Pourquoi il rend ces fichues rivières troubles ?
-Pour les esclaves, elle a expliqué. C'est un chant d'esclaves fugitifs, tu vois ? C'est la chanson qui les prévient. Marchez dans l'eau, on ne pourra pas retrouver vos traces…
-T'as jamais envie de savoir d'où venaient les ancêtres ? j'ai demandé. de quel pays on les a pris ?
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Il fallait oser aborder le sujet d'un tel ouvrage. Retendre les cordes de l'Histoire. L'on jurerait que l'auteur vient de Crémone, tant la complainte du violon intérieur qui anime l'écrivain remonte le temps, de génération en génération pour raconter.
-Quand on raconte, on fait le mal. Qui plonge le poing dans le nid de la mygale pour montrer comment elle mord ? Les fous ! Il faut arrêter de parler maintenant, et il faut arrêter de pleurer. Vos larmes, ils en feront des marigots, ils y laveront leurs ordures !
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Et bien non, rien de latin chez l'écrivain. Baba le bien nommé (un médiateur sommeille en lui) puise ses réflexions dans d'autres origines. Il accorde sa sensibilité aux réalités de l'esclavage. II expose au lecteur toutes les laideurs, toutes les dérives de cet amoindrissement d'une partie de l'humanité. Il pointera au fil des pages, la voie qui pourra – peut-être – nous ouvrir les yeux. Il nous guidera dans les méandres des racines sinueuses de l'histoire de ces peuples déracinés pour comprendre qu'à ce jour, l'Arbre d'oubli n'existe pas. Les cris étouffés de George Floyd agitent la plume de l'écrivain d'un tremblement indigné.
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Pour le poète, le chanteur, le comédien qu'il est,
Luc Baba goûte avec passion à la liberté. C'est un artiste. Parler de ce fléau qui a frappé durant des siècles les peuples de l'Afrique, c'est tenter de museler son émotion et de faire acte courageux de lucidité. Regarder la vérité en face.
-On est libre quand on ne doit plus rien fuir.
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Le projet de ce roman est ambitieux. J'ai eu la grande chance de pouvoir le lire dès le point final du manuscrit. Restait à trouver un éditeur. Des amis français n'ont pas eu le regard suffisamment aiguisé pour porter cet ouvrage. Et durant de longues semaines, le coup fut dur à encaisser, tant par l'auteur que par moi-même. Heureusement, très rapidement, un éditeur belge fut prompt à réagir et l'ouvrage que nous avons à présent dans les mains permettra dans les mois futurs de riches lectures et des débats animés.
L'auteur écrit au fil des pages un hymne à la résilience. Même si des cauchemars récurrents surgissent dans le sommeil des personnages, une lueur d'espoir pointe de-ci de-là.
Sandy devina la silhouette du vieil homme noir. Il pensa qu'on voit les Blancs le jour, mais pas les Noirs la nuit, sauf un reflet argenté dans le regard.
Et c'était un regard intense, pas de clignements, pas de peur, un grand regard qui le tenait.
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Barbade 1817, Missouri 1852, Chicago 1877, Birmingham 1929,…
Certains s'enchaînent parce qu'ils doivent choisir entre la captivité du chien et l'errance des fantômes.
-Tu veux de cette liberté-là ? Moi non ! Il existe une seule façon de gagner une liberté estimable : surpasser les Blancs.
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L'écriture de l'auteur est assurée. Comme l'exprimait encore un ami dans la soirée d'hier, l'écriture et la parole vont de pair.
Luc Baba jongle avec le rythme, le ton, les intonations. Les mots dansent au fil des phrases. le récit accroche le lecteur grâce à cette spontanéité des sentiments. de la sensibilité à fleur de peau.
Tout est viscéral.
Les fers de la colère, ça blesse le ventre et ça noircit les paupières.
Luc Baba prône une paix nouvelle. L'apaisement. Pas de reproches.
Bâtir et rebâtir, déployer une ardeur tranquille et relever la tête.
La force gaspillée longtemps à nourrir la peine, aligner les raisons de ne plus croire en rien, une des héroïnes va y faire face. Consacrer cette force à relever les murs de sa petite école, et se tenir droite aux côtés de son fils.
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