Citations sur La phrase urbaine (13)
Si le monument, dans sa solitude d'objet, même relative, peut prétendre au statut de poème architectural, avec le récitatif de la rue, nous n'avons affaire par contre, et tout du long, qu'à de la prose. Paris est la ville en prose par excellence, une prose à la fois narrative, poétique, théorique, au sein de laquelle les poèmes des monuments s'incrustent comme des citations, mais où tout finit par renvoyer à la théâtralité prosaïque des enfilades, avec des entrées et des cours qui scandent leur chœur de secrets et de digressions au sein des chapitres. Le passant, livré à la prolixité du plan, est le héros de ce roman, il l'écrit selon son désir, il y cite ce qu'il veut.
Dans une dimension qui serait celle d'un "je me souviens" dérivé de Georges Perec, le grès cérame compose le paysage comme la "Quinze" Citroën ou la 4CV, une affiche du cirque Pinder sur un abri d'autobus ou la voix d'un speaker commentant à la radio l'arrivée des 24 Heures du Mans. Quelque chose de l'essence de la banlieue d'alors s'en va dans son nom : il y a de la boue de chantier sur le revers d'un pantalon trop large, il y a des tables d'écoliers avec des encriers de plomb, les nouvelles des guerres coloniales et une petite pluie fine tombant sur un autobus à plate-forme...
Pourtant il s'agit bien du même monde, et la solidarité est étroite, au fond, entre les tours fétiches ou les objets sans regard du capitalisme libéral et les petits morceaux de sucre qu'il étale en ramifications extensibles sur la nappe du territoire. Dans les deux cas c'est le régime de la propriété déchaînée qui se donne libre cours, avec son injustice fondamentale, et dans les deux cas, on le comprend aussitôt, c'est l'abandon de toute utopie, de toute postulation d'un devenir transformé ou infléchi qui est programmé.
De l'économie privée aux jardins de simples liés à l'ordre monastique, des perspectives renaissantes au grand jardin classique et de lui au jardin paysagé du romantisme puis de toutes ces formes au parc urbain moderne et à ses déclinaisons, de l'âge industriel (dont il procède) à nos jours ou encore, pour envisager les choses sous un angle plus théorique, de l'"hortus conclusus" au "jardin en mouvement", tout aura été comme un palimpseste infini de modes de traversée et de pratiques de répartition différents.
J'aurais pu choisir de grandes orgues et j'ai préféré ce murmure, pensant qu'à travers lui l'opposition que j'ai cherché à relever entre discours et parole était parlante et qu'à l'architecture, toujours et encore à venir, elle dirait son mot : non pas tais-toi, mais viens, reviens, sois proche, remets-nous le lointain auquel nous avons droit : donne un lieu à nos signes, un champ à nos pensées, c'est du pareil au même, c'est le plus difficile.
Le futur que les utopies retenaient pour plus tard ou que le culte du progrès convoquait comme horizon se déplace, il est restitué à son être, il devient, tout en n'"étant" pas, ce que le temps ne peut pas effacer, ni dans ce qui vient, ni dans ce qui est venu
Si la ville babylonienne de la révolution industrielle (Paris et Londres en premier lieu) a sans doute détruit pour toujours les partages classiques qui réglaient les rapports entre fonction et symbole, entre scène et coulisses, il n'en demeure pas moins que le mouvement moderne, malgré le plan libre, apparaît, au long des diverses pistes qui l'ont fait surgir, comme une volonté hantée par la nostalgie de la clarté et de la hiérarchie.
Des noms, encore une fois, suffisent à ouvrir le jeu qui commença sur les atlas de l'enfance. On dit Pérouse ou Portland ou Bombay, Odessa ou Shangaï ou Istanbul et aussitôt un monde est touché, une couleur du monde est atteinte.
Chaque ville parle son propre argot secret et contient en elle une ville clandestine qui la transperce en des mailles disséminées dont le flâneur reconstitue la trame
La capture du type qu'est le typique sert d'alibi culturel et touristique à l'atypie proliférante du n'importe comment fonctionnel, et c'est pour ainsi dire automatiquement que l'on passe de la zone délaissée à la zone embellie.