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Critique de Nastasia-B


« Dis, Maman. Raconte-moi ton premier Balzac.
— Eh bien, vois-tu, ma fille, mon premier Balzac n'avait rien de très poétique ni de très motivant.
C'était par un temps gris d'automne, de la pluie et du vent à ne plus savoir qu'en faire. de plus, comme pour bon nombre d'entre nous, c'était une lecture imposée à l'école. Si tu savais comme je détestais ces lectures imposées. Bien souvent, je m'arrangeais pour ne pas les lire, pour faire illusion. Bref, cela m'est tombé dessus.

Bien sûr, Balzac, je connaissais de nom, mais n'avais jamais rien lu de lui. On ne m'en avait dit que du mal, que c'était ennuyeux, pénible à lire, très démodé, une vraie corvée. Certains titres de ses romans m'étaient connus, mais pas celui-là. Non, ça ne me disait vraiment rien ce nom, Eugénie Grandet, je n'en avais jamais entendu parler.

Ma mère était allée me l'acheter à l'une des mauvaises librairies de la ville, car, comme tu peux te l'imaginer, il n'y avait pas beaucoup de livres chez mes parents. Quand j'ai vu le livre que me rapportait ma mère, j'eus encore plus le bourdon. La couverture était moche comme il n'y a pas.

Un samedi après-midi, il n'y avait vraiment rien à faire dehors, il pleuvait sans discontinuer. Notre chienne était sur le point de mettre bas et comme elle n'avait pas l'air très en forme, mon père m'avait demandé de la surveiller afin de pouvoir appeler le vétérinaire au bon moment si le besoin s'en faisait sentir.

Alors je pris Eugénie Grandet avec moi et commençai à lire pour tromper l'attente. Je n'ai plus une conception précise du temps à partir de ce moment-là. Je sais juste qu'assez rapidement il m'a fallu allumer la lumière, soit que le ciel était trop gris, soit que la nuit commençait à tomber.

Je sais aussi que je n'ai pas vu naître le premier petit chiot et que je me suis couchée tard ce soir-là. Il n'y avait pourtant rien à faire me semblait-il. Je ne me souviens pas avoir vraiment dîné, par contre, je me souviens parfaitement que ce jour-là, outre les six petits chiots, un grand amour pour Balzac est né... »

Voilà un bien trop long préambule mais cela s'est réellement passé comme ça. Et ce n'est pourtant pas mon Balzac préféré ni même celui que je conseillerais à un jeune désireux de découvrir cet auteur. Mais celui-ci garde pour moi une saveur assez spéciale...

Quoi vous dire que vous ne sachiez déjà sur cet ultra classique de chez classique ? Peut-être que, comme parfois chez Honoré de Balzac, le personnage qui donne son nom au roman ne semble pas être le personnage principal, du moins le plus marquant. Ici, la figure du père Grandet, ancien tonnelier avare ayant fait fortune à Saumur, trône au coeur du roman, lui dont l'ombre et la férule continueront de planer au-dessus de la tête de sa fille même bien après son décès.

Quant au destin de sa fille Eugénie, il paraît n'être qu'un simple dommage collatéral de l'avarice maladive du vieux.
Molière nous avait peint un avare pathétique jusqu'au rire, Balzac nous en sert un pathétique tout court, qui crève avec son magot, le coeur dur comme un granit et les paupières plus sèches que le désert.

Eugénie et sa mère sont les pauvres témoins, voire, de vulgaires expédients du vieux radin. Elles n'ont nul droit à la chaleur humaine et surtout pas à l'amour. le vieux non plus d'ailleurs, mais il s'en fiche comme d'une guigne tant qu'il a de l'or.

À la mort du vieillard, Eugénie demeure richissime, mais effroyablement seule dans la froide maison de Saumur. Les oiseaux de proie tournent autour de ce jeune petit coeur naïf, petit coeur de femme qui a éclos coupée du monde et qui n'en connaît pas les dangers, petit coeur qui s'émeut et qui croit à l'éternité d'un premier amour né d'une rencontre fortuite, petit coeur qui croit en la pureté des hommes aimés et de leurs sentiments, petit coeur qui croit en l'inaltérabilité de la parole donnée, petit coeur qui croit qu'on l'aime pour ce qu'elle est non pour ce qu'elle possède...

Aura-t-elle droit à sa parcelle de bonheur ? Ceux qui l'ont déjà lu le savent et pour les autres, je me dépêche de me taire et de vous laisser lire la fin...

Ce monument De Balzac vaut principalement pour la dentelle dans laquelle l'auteur cisèle la sensibilité d'Eugénie, ses frêles attentes, ses désirs accessibles, son âme neuve, éprise de romantisme et si éloignée de la cruelle réalité de son père, de la rudesse confinant à la goujaterie de son cousin qu'elle aime, la dentelle encore avec laquelle Honoré de Balzac sait si bien nous faire sentir les attentes cupides des deux clans ennemis cherchant à tout prix à faire un beau mariage rentable avec Eugénie, la considérant, elle, comme une quantité négligeable.

Sublime oeuvre psychologique et sociale, écrite tout en finesse, en sensibilité, en amertume aussi, c'est à juste titre que ce roman figure parmi les plus célèbres de son auteur. Mais ceci, bien sûr, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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