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Critique de Nastasia-B


Il s'en est fallu d'un cheveu, vraiment d'un cheveu, selon moi, pour qu'Honoré de Balzac produise encore avec La Cousine Bette un magistral chef-d'oeuvre (un de plus !). Au lieu de ça, il a " seulement " composé un très bon roman. Certes, beaucoup d'écrivains actuels s'en satisferaient amplement, eux qui en sont si loin, avec leurs pelles et leurs seaux dans les terres molles et collantes du roman contemporain, mais pour lui, c'est presque un peu décevant qu'il ne signe QUE ce très bon roman.

On sait bien que chez Balzac la figure « sacrificielle » a une très large place : c'était le cas par exemple dans le Père Goriot avec cet homme littéralement dévoré par les appétits insatiables de ses deux filles ; c'était le cas également dans Eugénie Grandet, d'une façon fort différente, avec cette jeune femme prise en étau entre l'avarice maladive de son père et les appétits farouches des prétendants qui lorgnent sur l'héritage.

J'ai utilisé deux fois le mot « appétits », qui évoque l'argent, et on pourrait multiplier de la sorte les exemples chez l'auteur. Eh bien ici aussi, il y a ce genre de figure sacrificielle, toujours très pure, très noble dans le fond, un rien dévote sur les bords, un genre de madone qui serait en même temps l'agnus dei, qu'on donne en pâture aux vilains, aux mesquins, aux exécrables, aux minables, aux ingrats, aux envieux, aux jaloux... La nuance, la différence, si différence il y a, c'est sur la nature même des appétits dévorants, qui ne sont plus, en premier lieu, l'argent (même si indirectement, un peu quand même).

L'agneau de dieu sacrifié, ce sera bien entendu la baronne Adeline Hulot. Au rang des envieux, des jaloux, des combinards, on trouvera bien entendu sa cousine, dite la cousine Bette (diminutif de Lisbeth), même si je ne peux m'empêcher de penser que Balzac a bien cherché à nous faire entendre dans ce nom les autres sonorités homophoniques du mot, à savoir le légume, long, insipide, inintéressant au goût (bon, je sais, il y en a qui aiment, mais moi non : j'ai l'impression de perdre mon temps quand j'en mange et ce sont toujours la sauce ou les aromates qui me les font avaler, preuve selon moi de son manque d'intérêt gustatif en lui-même), mais aussi et surtout le mot " bête ", qui signifie à la fois la bêtise et la férocité.

Bette est laide quand sa cousine est belle ; elle est vieille fille et pauvre quand sa cousine est bien mariée à un baron richement pourvu, et, ce qui la bouffe littéralement, elle a le sentiment (pas totalement injustifié au demeurant) d'être un meuble dans la famille, une domestique, quelqu'un à qui l'on fait l'aumône et que l'on tolère auprès de soi tel un mal nécessaire, telle une infirme, qui serait infirme de son manque de beauté et de son esprit étriqué.

Alors elle se consume la Bette, elle rumine, elle fulmine intérieurement, elle mûrit en elle-même ce qu'elle pourrait combiner de chausse-trappe et de fange à étaler sur sa trop belle, trop bonne, trop parfaite cousine. On ne peut pourtant pas dire qu'Adeline soit trop chanceuse avec son mari, le baron Hector Hulot d'Ervy, brave gars dans le fond, mais coureur de jupons invétéré et surtout... incurable !

Tout cela irait encore à peu près pour notre toxique et ténébreuse Lisbeth, mais un jour, Hortense, la fille de la baronne, qui bénéficie d'une aussi jolie figure que sa mère, commet le faux pas de lorgner sur le petit protégé de Bette, le Polonais Wenceslas. Alors là, mes aïeux, ça, c'est une grosse, grosse, grosse maladresse, car ce Wenceslas, voyez-vous, c'était un genre de chasse gardée, c'était son jardin secret à la Bette, pas un véritable amant, certes non, mais une sorte de platonicité accessible, une affection faute d'autre chose, une relation qui la faisait se sentir bonne et honnête et utile et (sur un malentendu) désirable pour quelqu'un...

Et Bette, voyez-vous, c'est un peu comme un volcan actif : en temps normal, ça gronde, ça grognonne en sous-sol, ça fumotte, ça toussotte en surface pendant un bon moment, des mois, des années, des siècles, parfois, et puis un mauvais jour, quand la pression est trop montée des entrailles, trop contenue, trop puissante, eh bien ça BAM ! et ça POUM ! et ça BRRAAAOOUUUM ! et ça crache le feu et la mitraille de tout côté sur des kilomètres, et ça vomit de la lave et des gaz atroces à n'en plus finir, et ça balaie tout, et ça éclabousse tout, et ça fait trembler la terre de partout et dans toutes les directions.

Quel sera l'instrument de sa vengeance, ou plutôt QUI sera l'instrument de sa vengeance ? Ah, ah ! Ça, mes bons amis, mystère, et ne comptez pas sur moi pour vous le dévoiler ; lisez-le si vous voulez le savoir...

À présent, quel semble être le thème de ce roman ? La lutte, la constante, l'incessante, la sempiternelle lutte du bien contre le mal, ou, en l'espèce, plutôt celle du vice contre la vertu. C'est un combat toujours à l'oeuvre et de tout temps et de partout, où que l'on jette le regard, on le retrouve, des tréfonds de l'Asie ou de l'Océanie à l'Alaska ou à la Terre de feu, c'est toujours la même rengaine.

Il y a, au surplus, une autre nuance : le vice véritable et avéré d'un côté, et l'apparence du vice de l'autre. C'est particulièrement illustré dans ce roman par le personnage de Josepha (qui rappelle beaucoup Esther, " la torpille " de Splendeurs et misères des courtisanes), un thème et un personnage que reprendra plus tard Guy de Maupassant dans sa Boule de Suif. de même, il y a la vertu et l'apparence de la vertu, et Bette sait se faire experte dans le domaine de l'apparence de la vertu...

On sait que Balzac a écrit ce roman (qui est un gros roman) très vite. Il est rondement mené, ça s'enchaîne très bien : Balzac est évidemment l'immense écrivain qu'on connaît. En revanche, ce qui n'est pas trop son cas d'ordinaire, je l'ai trouvé un peu trop moralisateur sur la fin. Jusque-là j'étais enthousiaste, éblouie comme souvent avec lui, et puis, il y a cette fin, façon Liaisons dangereuses, où la méchante Marquise de Merteuil se choppe la vérole et que c'est bien fait pour elle, n'est-ce pas ?

Or là, c'est du Balzac, c'est un observateur expert de la réalité normalement, du monde et des gens, dans ce qu'ils ont de complexes et d'indéchiffrables, il ne peut normalement pas nous infliger une fin « morale » voire « moralisante », car le monde n'est ni moral ni immoral en soi, il est amoral ; il n'est ni optimiste ni pessimiste, il est, un point c'est tout, il est, dans toute sa diversité, dans l'éventail quasi infini des variations et des nuances s'étalant d'un extrême à l'autre, du gerbant au formidable. Je me dis que sur cette fin, il est peut-être allé trop vite, il aurait peut-être pu prendre le temps de la mûrir un peu plus comme il sait si bien le faire.

Alors quand j'ai lu cette fin, j'ai été déçue, forcément, d'où ces 4 étoiles et non 5, tandis que j'étais persuadée tout du long que j'irais à 5, avec cette magnifique galerie de personnages encore une fois, allant du Crevel à la Marneffe, du maréchal sourd au sculpteur raté, de la putain à l'épouse modèle en passant par l'amante et la courtisane, mais il y eut ces quelques dernières pages... Bien entendu, cette déception n'est que ma Bette vision, ma Bette attente et ma Bette sensibilité, c'est-à-dire, pas grand-chose, car le mieux sera toujours de vous en faire votre propre opinion par vous-mêmes.
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