AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Ce livre traînait depuis longtemps dans ma bibliothèque, je ne saurais dire les raisons pour lesquelles je freinais à y aller et je ne sais pas si c'était le côté colonel qui me faisait hésiter, ou bien autre chose, en tout cas mon geste d'y aller fut par le côté Balzac...
Le Colonel Chabert est un personnage tragique, réfugié dans une absolue solitude, sidéré par un monde qui se renverse, passant d'une société de l'honneur à celle de la cupidité et de l'argent. C'est sans doute là que se noue la tension de ce court roman.
C'est un récit en très peu de pages, mais ô combien dense en intensité dramatique. On est suspendu tout au long du récit au dénouement à venir, un peu comme à la sortie d'un tribunal, comme si nous attendions la venue des avocats pour nous révéler le verdict d'un procès.
Pour revenir à la narration, le Colonel Chabert, comte d'Empire, fier cavalier des armées de Napoléon, est un personnage sensé être mort sur le champ de bataille à Eylau en 1807, bataille dans laquelle par ailleurs il s'est conduit en héros. Or, visiblement il n'est pas mort, il ressurgit d'un charnier humain, aidé par un couple paysan qui le sauve.
Il revient dans le monde des vivants, apprenant qu'il est mort, presque oublié, sa veuve s'est remariée depuis avec un comte réputé et fortuné, celui-ci lui ayant fait deux enfants.
Une parole vient alors : « J'ai été enterré sous des morts, mais maintenant je suis enterré sous des vivants, sous des actes, sous des faits, sous la société tout entière, qui veut me faire rentrer sous terre ! »
L'affaire s'aborde tout d'abord sous l'angle judiciaire. Un avoué, un certain Derville, est approché, qui connaît les deux parties, cela semble une manière de pouvoir aborder sereinement le sujet, il apparaît neutre, permet de faire un pas de côté à tel point qu'il pourrait subtilement être l'incarnation De Balzac qui se serait introduit à notre insu dans ce récit. Mais l'affaire s'avère compliquée. Cet homme qui resurgit du néant, d'un charnier humain, alors que son décès est consigné dans des actes militaires, forcément on croit tout d'abord à la mystification, à la folie... Cela m'a fait penser à l'histoire de Martin Guerre, vous vous rappelez ?
La « veuve », devenue la comtesse Ferraud, ne l'entend pas de cette oreille. Aussi... Mais je m'arrêterai là pour ce qui est du récit et de l'intrigue.
Laissons place à mon ressenti : en deux mots, j'ai adoré. C'est un petit bijou finement ciselé qui se révèle peu à peu au détour de chaque page, offrant un suspense magnifiquement mené avec une émotion, une empathie, qui invite le lecteur à ressentir très vite une compassion pour ce pauvre Colonel Chabert. La narration est impressionnante, dans la manière dont Balzac la mène, mais aussi dans son talent de peindre à l'essentiel, à l'épure, les portraits saisis au vif des principaux protagonistes, ainsi en l'occurrence ces trois fameux personnages, le colonel, sa femme et l'avoué. Et puis il y a ces méandres dans lesquels les personnages vont évoluer, avancer, poser leur pions, se perdre dans le jeu de l'autre... À certains moments, mon coeur s'est serré sur les mots De Balzac lorsque je pensais à un autre de ses personnages célèbres, le Père Goriot, contexte certes différent mais personnage rejeté lui aussi d'une certaine manière par les siens et l'on sent au travers des pages toute l'empathie de l'auteur pour ses personnages qu'il nous esquisse.
Mais aussi il se dégage une forme de morale pas ostentatoire, qui se laisse questionner avec plaisir et intérêt par le récit, elle est décalée forcément avec la réponse que peut proposer la justice dans ces cas-là. La magie des mots De Balzac est subtile pour ne pas opposer ces deux antagonismes comme deux blocs monolithiques qui pourraient se confronter avec la violence attendue ; c'est l'art d'un couturier, d'un ciseleur qui opère ici. Balzac nous préserve de cela tout en disant les violences intérieures que la douleur d'un désastre peut dessiner.
Le Colonel Chabert, c'est un peu cet homme égaré qui revient vivant du pays des morts et qui se retrouve comme mort au pays des vivants...
C'est toute simplement beau et c'est à cela qu'on reconnaît un grand écrivain capable de traverser les âges et perdurer après nous. Ce court texte m'a tout simplement donné envie de me remettre en selle vers d'autres textes de ce fabuleux auteur classique.
Commenter  J’apprécie          719



Ont apprécié cette critique (66)voir plus




{* *}