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Critique de Woland


Publication : 1841
Sources : http://fr.wikisource.org
Edition : Feedbooks.com

ISBN : non indiqué

Il était une fois une petite fille, à qui son parrain, le Dr Minoret, originaire de Nemours, donna le prénom d'Ursule, en souvenir de sa chère épouse qu'il venait de perdre, et qu'il éleva tout à fait comme si elle eût été sa fille. Ursule grandit, enfant heureuse, fillette charmante, et un jour belle jeune fille qui pouvait prétendre, tant par sa vertu que par sa beauté et la dot qu'on lui estimait, à un excellent mariage.

Le seul problème demeurait la tache sur les origines de son père qui, bien qu'ayant exercé un rang honorable dans l'armée, était né illégitime. Bien qu'il se fût lui-même marié dans les règles, sa bâtardise n'en demeurait pas moins connue et lui avait causé bien des soucis. le Dr Minoret fit tout pour que, dans la petite ville de Nemours où il éleva sa pupille, l'on évitât soigneusement, et surtout devant elle, d'évoquer la chose mais les gens sont méchants.

Surtout s'ils sont susceptibles d'hériter ...

Or, il se trouve que le Dr Minoret, bon praticien et homme de science, esprit sceptique certes mais qui savait demeurer ouvert, était plutôt doué pour les affaires légales et que, au-delà les différents orages que connurent la fin du XVIIIème siècle où il était né et les trente premières années du XIXème, où il devait mourir, il avait su s'établir, pendant ses années d'exercice à Paris, de fort belles rentes tout en régissant pour le mieux la maigre fortune que ses parents disparus avaient laissée à la petite Ursule. Dès le début du livre, les héritiers Minoret - les "légitimes" puisque Ursule n'est qu'une "pièce rapportée" - parlaient, avec le respect émouvant et idolâtre de ce que leur laisserait leur oncle, pas loin de huit cent mille francs de l'époque en capital, sans compter les terres et autres menues petites gâteries ...

Huit cent mille francs ! Qu'il s'appelassent Minoret-Levrault (les plus acharnés), Minoret-Minoret, Minoret-Crémière (ça ne s'invente pas ), Minoret-Grassin, Minoret-Un-Tel ou encore Minoret-A-La-Va-Comme-J'te-Pousse, tous en rêvaient la nuit avant de sombrer, tous aussi, dans le plus immonde des cauchemars : celui où Ursule, la fille du bâtard qui n'était même pas un Minoret par la bande, raflait la mise intégrale !

Fermez les yeux, imaginez-vous sous votre couette douillette, dans votre maison honnête et bourgeoise, en cette année 1829 où l'on ne vous juge qu'à l'argent et à la situation sociale qui sont vôtres (vous me direz, les chose n'ont guère changé ), laissez-vous gagner par le sommeil après une solide journée d'empoignades avec vos employés de la Poste (pour Minoret-Levrault) et vos domestiques (pour Zélie, sa digne et imposante épouse), voyez s'avancer vers vous, toutes étincelantes, ces piles et ces piles d'or avunculaire et puis BOUM ! SPLASH ! PAF ! au son du cor que jouait si bien son père, chef de musique de vous ne savez plus quel régiment perdu, voici que vous apparaît la douce, la tranquille, la jolie, la merveilleuse petite Ursule Mirouët qui, après une gentille révérence, et sous l'oeil bienveillant des hommes de loi ravis, enfourne tout dans un grand sac qu'elle cachait dans ses jupes, la Sainte-Nitouche ! ...

Inutile de vous imaginer les sueurs froides dans lesquelles vous vous réveillez, si ce n'est qu'il nous faut préciser que ce supplice dure pour vous, avec quelques variantes, depuis des années et des années ! Ah ! Il faut que vous ayez bien l'amour de l'arg ... la santé chevillée au corps pour être encore en vie après tant de si sombres nuits !

Cette situation passionnante fait bien sûr jaser la ville de Nemours depuis autant d'années. Au début, bon, Ursule était petite, ça allait encore. Puis, au fur et à mesure qu'elle grandissait, les visions de "la Rente" de son tuteur grandissaient dans les esprits, les scenarii de testaments éventuels se multipliaient. Certains se déclaraient pour les héritiers "légitimes" tandis que d'autres estimaient qu'Ursule ne devait pas être lésée. Parmi les pro-héritiers, nous noterons d'ores et déjà la présence de l'odieux Goupil (une sorte d'Uriah Heep à la sauce de Nemours qui, clerc de notaire et ami de Désiré Minoret-Levrault, le fils de Zélie et de son massif époux, aimerait bien qu'on l'aidât à acquérir une étude de notaire bien en vue.) "On" ? Qui ça ? Ma foi, on ne peut pas dire que Goupil soit difficile sur la question : il est prêt à mentir, voler, rendre service, rendre heureux, rendre malheureux, faire hériter, faire déshériter quiconque lui offrira ladite étude -mais pas à Nemours, trop petite ville à l'époque, plutôt à Sens par exemple, voire, qui sait, à Paris et avec l'hôtel particulier et l'union qui vont avec ...

Viennent se greffer là-dessus deux événements dont le premier inquiète au plus haut point les Minoret-Dans-Leur-Intégralité : la petite Ursule parvient à convaincre son parrain, homme élevé selon les principes déistes des philosophes, de rentrer dans le giron de la Sainte Eglise Apostolique et Romaine. Comme de parfaits paysans du Moyen-Âge, les Minoret-Héritiers voient là un signe qui ne trompe point : leur Bonheur ou leur Disgrâce est proche. Assurément, le bonhomme sent l'Heure Ultime approcher et il se prépare. A-t-il aussi préparé son testament et, si oui, en faveur de qui ? ...

Le second événement, c'est que le Dr Minoret règle les dettes de son jeune voisin, Savinien de Portenduère (dettes qui avaient conduit ce dernier en prison, d'ailleurs), jeune homme qui a retenu la leçon et qui, peu à peu, se dit qu'épouser une femme comme la petite Ursule serait ce qui pourrait lui arriver de mieux. Sa mère hélas, de l'antique noblesse bretonne et qui vit encore toute poudrée comme à l'ancienne, n'est pas d'accord (il faut dire qu'elle est pour beaucoup dans les excès financiers qui ont mené Savinien à Sainte-Pélagie car elle entendait qu'il vécût à la capitale comme ses ancêtres mais sans leurs revenus) s'oppose à ce qu'elle tient pour une mésalliance. Mais une mésalliance reste-t-elle une mésalliance avec huit-cent-mille francs à la clef ? ... Quand la vieille dame comprendra que non, il sera trop tard et elle nous aura fait perdre bien du temps - et gagner bien du plaisir. Aussi lui pardonnons-nous !

Roman époustouflant, que j'ai lu au départ parce qu'on m'avait affirmé qu'il avait un rapport avec "Une Ténébreuse Affaire", "Ursule Mirouët" n'a ni le lyrisme, ni la flamboyance désespérée des "Chouans" Mais quel rythme ! Quelle ironie, quels éclats de rire même dans les descriptions successives que nous donne Balzac de la Troupe Minoret au grand complet ! Affirmer qu'il n'y en a pas un pour relever l'autre n'est rien : c'est auquel s'enfoncera le plus dans la boue pour se montre le plus digne d'"hériter", du moins dans la conception que possèdent ces gens du verbe. La boue, d'ailleurs, ils ne la voient ni ne la sentent : elle est faite d'or, d'argent et de papier-monnaie, comprenez-vous ? A ce niveau-là, ce n'est plus de la boue, c'est ... c'est la Fontaine de Jouvance, ou presque. Les Minoret s'aveuglent eux-mêmes et on devrait les plaindre : cependant, on ne peut que les railler et applaudir au sort qui les attend - surtout les Minoret-Levrault. Ce dernier couple, si bourgeois, si pédantesque, si fier de son nom et de sa fortune personnelle, dont les parties évoquent, chacun à sa manière, la grenouille voulant à tout prix se faire plus grosse que le boeuf, ne vaut guère mieux, somme toute, que celui, bien plus sanglant pourtant, de la sinistre Auberge de Peyrebeilles (affaire, je crois, à laquelle Bazac et Dumas s'intéressèrent l'un et l'autre, chacun dans son style.) Encore Zélie ne sait-elle rien au départ des manoeuvres de son époux qui entend les lui cacher pour se réserver un peu d'argent personnel tant sa femme est avare et stricte. Les eût-elle connues, qu'elle eût, on peut le parier, agi avec plus d'intelligence mais, lorsqu'elle est mise au courant, il ne lui reste plus qu'à sauver les meubles - et encore ...

Etude de moeurs provinciales particulièrement fine et sans pitié, "Ursule Mirouët" ne tombe jamais dans l'incohérence et Balzac se laisse si bien emporter par son sujet qu'il en oublie de frôler le mélo comme cela lui arrive parfois un peu trop souvent. A lire et à relire : c'est aussi délicat qu'"Eugénie Grandet" mais la fin est plus optimiste. ;o)
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