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Critique de CDemassieux


Barbey d'Aurevilly, ce fantasque et non moins génial dandy des Lettres françaises – voir son impeccable article consacré au Fleurs du Mal de Baudelaire pour s'en convaincre –, peut toujours se justifier dans une préface morale, il n'empêche qu'il a du goût pour ces Diaboliques femmes, souvent secondées par des hommes qui ne sauraient se contenter d'afficher leur faiblesse face au Beau sexe pour se dédouaner de leurs propres diableries. Quant à ceux qui se maintiendraient dans une lecture effarée, eh bien, je leur dédie cette phrase de la baronne de Mascranny : « Décidemment, vous avez un vilain genre d'imagination, ce soir. »

Cependant, nul ne saura contester le mystique de cette oeuvre, où le Diable et le Ciel semblent se renvoyer la balle, d'accords au moins sur ce point : « le mot diabolique ou divin, appliqué à l'intensité des jouissances, exprime la même chose, c'est-à-dire des sensations qui vont jusqu'au surnaturel. »

Et pourtant, Barbey ne dissimule pas plus ici qu'ailleurs son « amour pour les choses du catholicisme » ; il est juste joueur, voilà tout. Un jeu qui lui fait raconter toutefois les errances charnelles paroxystiques d'une Rosalba, par exemple, « singulière catin arrosée de pudeur par le Diable ». J'ai dit « joueur » ? Autant dire « voyeur », tout comme nous les lecteurs…

Ce qui est certain c'est que rien n'est tiède ici puisque règnent les sens : « C'était enivrant et dégrisant tout à la fois, mais c'était terrible ! » confesse ainsi le vicomte de Brassard au souvenir d'une jeune fille qui venait le rejoindre dans sa chambre au rideau cramoisi, tandis qu'il était hébergé sous le toit des parents de celle-ci.

Évidemment, si des hommes d'envergure s'immiscent çà et là dans les récits – dont le commandant Mesnilgrand n'est pas le moindre, qui « imposait, comme tous les hommes qui ne demandent plus rien à la vie » –, ce sont les femmes qui raflent la mise. Ces femmes que Barbey gratifie à l'occasion d'aphorismes de sa façon : « Les femmes, lâches individuellement, en troupe sont audacieuses. » Autre morceau de bravoure misogyne (mais Barbey écrit au beau milieu du XIXe siècle, alors gardons-nous de jugements anachroniques imbéciles qui maquillent si mal l'ignorance de ceux qui les émettent !) : « « Et elle était là-dessous d'une beauté pleine de réserve, et d'une noblesse d'yeux baissés, qui prouvait qu'elles font bien tout ce qu'elles veulent de leurs satanés corps, ces couleuvres de femelles, quand elles ont le plus petit intérêt à cela. »

Mais Barbey sait se rattraper et énoncer de ces vérités intangibles, aujourd'hui encore : « En thèse générale, on peut dire que tous les dîners d'hommes où ne préside pas l'harmonieux génie d'une maîtresse de maison, où ne plane pas l'influence apaisante d'une femme qui jette sa grâce, comme un caducée, entre les grosses vanités, les prétentions criantes, les colères sanguines et bêtes, même chez les gens d'esprit, des hommes attablés entre eux, sont presque toujours d'effroyables mêlées de personnalités, prêtes à finir toutes comme le festin des Lapithes et des Centaures, où il n'y avait peut-être pas de femmes non plus. »

Que dire, enfin, du personnage de la duchesse de Sierra-Leone qui se vautre volontiers, et malgré sa nature sublime, dans la fange pour mieux se venger de l'homme qui, par son orgueil cruel, l'y a plongée ? Une figure tragique et résumée dans cette phrase : « Les sentiments comme les miens ont leur folie, mais c'est leur folie qui fait le bonheur ! »

Dans ces pages, on sent aussi poindre la nostalgie d'un autre temps, comme à propos de tel salon où perdure l'art de la conversion « d'autrefois, la dernière gloire de l'esprit français, forcé d'émigrer devant les moeurs utilitaires et occupées de notre temps. » Et, de fait, rien n'est utilitaire dans le recueil de Barbey : la passion ne saurait d'ailleurs être matérialiste.

Mais Barbey n'est pas un auteur de romans policiers, et il n'est pas question pour lui de livrer tout le pourquoi du comment dans chacune de ses nouvelles. Au lecteur, parfois frustré par une chute abrupte, de se débrouiller avec son imagination…


(IMPORTANT : ne surtout pas lire les notes de la présente édition car son auteur – un certain Jacques Petit – croit judicieux d'y révéler des éléments de l'intrigue. Pour ce qui me concerne, je m'en suis rapidement abstenu et cela n'a gêné en rien ma lecture !)
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