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Critique de Kirzy


Kirzy
04 novembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 39 °°°

L'ouverture du roman place le lecteur sur le terrain familier d'un polar. On fait la connaissance d'un détective fraichement retraité, Tom Kettle, vivant à l'écart dans un manoir irlandais dont il loue un appartement ; puis de deux détectives en activité qui viennent demander son aide dans le cadre d'un cold case réouvert.

« Cette visite l'avait déstabilisé, troublé, terrifié. Oui, terrifié. Leurs révélations étaient un acte de terreur. (…) le contenu de ces dossiers lui sautait à la gorge avant même qu'il puisse les consulter. »
Mais ce n'est qu'une feinte. Très rapidement, on se rend compte que derrière la troisième personne se cache le point de vue de Tom Kettle. Avec une maestria évidente qui ne craint pas la complexité narrative, Sebastian Barry fait glisser latéralement tout le récit sur ce guide peu fiable, ravagé par d'insupportables traumatismes, à la mémoire friable. Il distille les révélations attendues sur un élastique narratif très laxe, retardant leurs divulgations au maximum.

Tout doucement, on est conduit dans le monde de Tom, ses digressions, ses retours sur le passé, sur un fil instable avec comme seul guide conducteur l'immense amour qu'il portait à son épouse décédée. Son esprit semble en permanence à la dérive entre passé et présent, réel et imaginaire. L'écriture élégante de l'auteur frôle le courant de conscience de Tom alors que ce dernier lutte pour suivre ou éviter ses propres pensées.

Sebastian Barry ne lâche pas pour autant sa trame enquête. On saura en temps voulu tous les tenants et aboutissants du cold case présenté dans le prologue. Mais très clairement, ce magnifique roman va bien au-delà. Son vrai sujet est l'impact d'un traumatisme sur la mémoire, entre déni et honte, puis sa transmission sur les générations suivantes.

Les fantômes de Tom sont très présents et rejoignent les fantômes de l'Irlande depuis la révélation, dans les années 1990, du scandale des abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants, dissimulés par l'Eglise catholique. J'ai rarement lu des passages aussi puissants sur l'enfance maltraitée :

« Toutes ces âmes éteintes, plongées comme une bougie dans une mer de luxure. Un océan de luxure recouvrant une lueur qui ne longerait plus jamais le sein brillant de la terre pour éclore de nouveau telle une marguerite, une marguerite au coeur jaune vif, ce soleil d'un nouveau matin. Eteintes et oubliées. »

L'épigraphe est tirée du Livre de Job, un homme juste qui réagit à des épreuves difficiles en restant fidèle à ses valeurs. A mesure qu'il avance, ce majestueux roman devient de plus en plus déchirant, questionnant inlassablement les notions de rédemption, expiation, justice et morale. Il le fait avec une grave compassion et une rage feutrée mais nette.

Malgré la noirceur des propos et la brutalité de certaines scènes, ce magistral roman est illuminé par la seule grâce d'une écriture à l'immense pouvoir d'évocation, par la présence enjoué de Tom ( quel humour ) ainsi que par un hommage à l'amour éternel et sa capacité à éclairer l'obscurité. Assurément splendide.


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