Il y a tant de façons de mourir

Ma fille avait été réduite à une chose. Que ferait Jim si je me mettais à crier ? À pousser un long hurlement ? Il ferait sans doute venir le médecin pour m’administrer un sédatif. Ou plus probablement Linda et son sac de calmants.

J’ai imaginé la terre brûlée, le métal fondu, les cheveux roussis, la chair calcinée. « Pardon. » Je me suis précipitée dans la salle de bains et j’ai vomi le café du matin. La faïence blanche de la cuvette était éclaboussée d’un liquide répugnant et l’acide me piquait le fond de la gorge. Ma petite fille, ma si jolie petite fille. Je revoyais son visage d’enfant, son sourire aussi large que la lune, et l’ai imaginée se désintégrer sous mes yeux. Comment pouvais-je être encore en vie alors que mon unique enfant était morte, fauchée en pleine montagne à l’autre bout du pays ? Comment se faisait-il que je ne sois pas morte, que mon cœur n’ait pas cessé aussitôt de battre au même instant que le sien ? J’ai craché dans les toilettes. Quelle mère continuerait à vivre alors que son enfant était mort ?

Je m’attendais à être hystérique, à m’effondrer à ses pieds, à pleurer et à me lamenter, mais il y avait une sorte de calme au fond de moi, comme si je flottais à plusieurs centimètres au-dessus de ma tête. Je me suis écartée pour le laisser passer et j’ai regardé son dos s’éloigner dans la cuisine.

J’ai une envie folle de courir vers la forêt qui est devant moi, d’utiliser le peu d’énergie qui me reste pour m’élancer éperdument vers les arbres, vers l’ombre et une sécurité illusoire, mais je me force à marcher du pas lourd et régulier que j’ai conservé toute la journée. Je n’ai pas suffisamment à manger et à boire pour déployer une énergie soudaine. J’en ai à peine assez pour avancer péniblement.

Le hurlement que je réprimais au fond de ma cage thoracique a jailli. En une seconde, elle était à mes côtés et me serrait dans ses bras. Je ne sais pas combien de temps j’ai sangloté, mais alors que mes larmes se tarissaient, j’ai entendu un moteur qui démarrait et une voiture qui sortait de l’allée. La petite policière avait tenu parole.

J’avais lu suffisamment de livres pour savoir qu’en ce premier instant où je me retrouvais seule avec mes pensées, j’étais censée tomber à genoux et pousser un cri primal. Je suis restée là sans rien faire, le regard dans le vide, attendant que le téléphone sonne. Je me suis alors rendu compte que je passerais peut-être ma vie à l’attendre.

L’avion dans lequel se trouvait ma fille s’est écrasé. Désolée si ma réaction te met mal à l’aise. » L’espace d’un instant, il a eu l’air blessé et j’ai aussitôt regretté.

J’avais l’impression d’être une enfant à qui on donne du lait. J’ai bu du bout des lèvres. C’était trop sucré, on aurait dit un milkshake. J’ai posé le mug sur la table, placé les mains sur le bois usé. « Ce n’est pourtant pas difficile de retrouver un avion, non ? Ils ne peuvent pas utiliser des satellites ? Des hélicoptères ? »

Elle était peut-être encore en vie. L’espoir s’est épanoui dans ma poitrine comme un tournesol. « D’abord, qu’est-ce qui te dit qu’elle était dans cet avion ? » Peut-être qu’elle n’était pas du tout en danger. Peut-être qu’elle était chez elle, en sécurité.
« Elle figurait sur le registre des passagers, elle et le pilote de l’avion. J’ai vu les images de vidéosurveillance de l’aéroport, on la voit dans la queue… c’est bien elle.

L’eau est parfaite, fraîche, avec un goût légèrement métallique. Je remplis de nouveau les bouteilles. J’y ajoute de la teinture d’iode. Et les range dans le sac.