"Les foules craignent l'incertitude, c'est pourquoi elles préfèrent le mensonge qui affirme quelque-chose de solide à un savoir même sublime, qui ne leur offre pas de prise ferme."
"Il existe des gens pour qui la planète entière est une prison.
Qui voient l'espace infini du monde, les millions d'étoiles et de corps célestes étrangers dont l'accès leur est fermé pour toujours.
Cette conscience fait d'eux les plus grands esclaves du temps et de l'espace."
[Les foules] craignent l’incertitude et c’est pourquoi elles préfèrent un mensonge qui affirme quelque chose de solide à un savoir, même sublime, qui ne leur offre pas de prise ferme.
Ce ne sont point les choses en elles-mêmes qui nous rendent heureux ou malheureux, mais seulement l'idée que nous nous en faisons, et les fausses certitudes dont nous nous flattons
Ah, ah, ma vieille, l’amour, c’est comme le rôti : Plus vieilles sont les dents, plus jeune doit être l’agneau.
-- Ta philosophie n'est pas particulièrement à mon goût, maugréa Abu Ali. Il est vrai que nous nous trompons constamment sur la vie, et que nous sommes volontiers victimes de fausses convictions. Mais devons-nous renoncer à toute joie sous prétexte que toute joie repose sur des propositions mensongères ? Si l'homme agissait selon ta sagesse, il devrait passer tout son temps dans le doute et l'incertitude.
Il est vrai que nous nous trompons constamment sur la vie, et que nous sommes volontiers victimes de fausses convictions. Mais devons-nous renoncer à toute joie sous prétexte que toute joie repose sur des propositions mensongères?
"Il me semble, poursuivais-je alors après un instant de réflexion, que plus personne aujourd'hui ne courrait de gaîté de cœur à la mort sur la seule promesse d'entrer ensuite au paradis." - "Les peuples aussi vieillissent, répondait-il, l'idée du paradis s'est émoussée dans l'esprit des gens et ne suscite plus l'exaltation de jadis. Les gens n'y croient plus que par paresse, par crainte de devoir s'accrocher à quelque chose de nouveau. " - Tu penses par conséquent que, de nos jours, le prophète qui annoncerait le paradis aux multitudes pour les gagner à sa cause tomberait à côté ?" Omar souriait : "Tout à fait à côté. Car un même flambeau ne brûle pas deux fois, pas plus que refleurit la tulipe fanée. Le peuple est content de ses petites aises. Si tu n'as pas la clef qui lui ouvre le paradis de son vivant, il vaut mieux abandonner toute idée de devenir son prophète."
Quelle chose épouvantable était la vie. L' homme que tous ses partisans tenaient pour un saint était en réalité le pire des imposteurs. Il jouait avec le bonheur et la vie des gens comme un enfant avec des cailloux. Il abusait leur confiance. Il acceptait tranquillement d'être considéré comme un prophète, comme un envoyé d'Allah...
Après le dîner Ibn Tahir, n'en pouvant plus de fatigue, renonça à accompagner les autres dans leur promenade du soir. Il se retira au dortoir et s'allongea sur sa couche. Il mit du temps avant de pouvoir fermer les yeux. Tout ce qu'il venait de vivre depuis son arrivée à Alamut défilait devant ses yeux en une succession d'images violentes. L'affable dey Abu Soraka et le sévère capitaine Minutcheher lui rappelaient encore tant soit peu la vie extérieure. Mais l'énigmatique et bizarre Al-Hakim, et le dey Abdul Malik, doués tous deux de si prodigieuses facultés, et plus encore peut-être le mystérieux et sombre dey Ibrahim l'avaient introduit dans un monde entièrement nouveau. Et il commençait déjà à se rendre compte que ce monde nouveau avait ses lois propres, strictes et inflexibles; qu'il était organisé et dirigé de l'intérieur, de dedans vers le dehors, achevé et se suffisant à lui-même, logique et sans faille. Il n'y entrait pas sur la pointe des pieds. Il s'y trouvait projeté avec une brutalité inouïe. Et maintenant il y baignait tout entier. Oui, hier encore, il était là-bas, de l'autre côté. Et aujourd'hui, il le sentait bien, il appartenait tout entier à Alamut.
Une tristesse profonde s'empara de lui, car il avait dit adieu à tout un monde. Il avait l'impression que le chemin du retour lui était à jamais barré. Mais il sentait dans le même temps s'éveiller en lui l'impatience grisante du lendemain, la curiosité passionnée des mystères qu'il devinait partout autour de lui, et la ferme volonté de n'être en rien inférieur à ses compagnons.
- Me voici donc à Alamut, dit-il à haute voix pour lui-même. Qu'ai-je donc encore à regarder en arrière?
Cependant il évoqua encore une fois en pensée le souvenir de la maison natale, de son père, de sa mère, de ses soeurs. Et il leur dit adieu dans le secret de son coeur. Après quoi ses songeries s'embrumèrent, et il s'endormit dans une heureuse attente de l'inconnu.