J'étais à deux doigts (trente pages en fait) de vous dire que c'était un très beau roman.
Elle est bien attachante la petite Alice, dix ans au sortir de la guerre, dans sa quête d'amour et son envie de découvrir d'où elle vient. Elle est émouvante et très en avance sur son âge. Elle pense et agit assez souvent comme si elle était adulte. Mais on ne lui en veut pas parce qu'avec les débuts dans la vie qu'elle traverse, on comprend qu'elle murisse vite. Confiée à une nourrice pendant la guerre, aimable, gentille mais isolée parce que pauvre et sans famille, elle finit par retrouver sa mère. On est vraiment heureux pour elle pendant trois lignes mais, quand on la voit quitter sa nourrice qu'elle aimait bien et qui l'aimait bien pour retrouver une mère, froide, distante et malheureuse, on se dit qu'elle n'est pas au bout de ses peines.
Sa mère, justement, parlons-en ! Elle ne parle pas, ne lui parle pas. Elle travaille pour assurer leur subsistance dans cet après-guerre si difficile et si cruel pour ceux qui sont revenus après avoir beaucoup souffert. On comprend bien que la fin des hostilités n'a pas, du jour au lendemain, effacé tous les traumatismes. C'est clair, survivante d'un camp de concentration, elle est revenue brisée, condamnée au mutisme. Personne ne peut lui en vouloir d'autant qu'elle a la tuberculose et que ses jours sont comptés. On sent qu'elle va finir par parler à sa fille qui voudrait tant savoir d'où elle vient, qui elle est et où elle va, si possible « juste en marchant droit » comme les autres. Mais sa mère ne parle pas, même quand elle est hospitalisée sans espoir de retour et que sa petite fille est placée loin, très loin d'elle. On commence à subodorer que le mutisme a bon dos pour masquer un tour de passe-passe justifiant le maintien du mystère de sa naissance et ménageant le suspens.
Elle finira par lui écrire une lettre et un cahier de trente pages pour lui raconter. Trente pages censées expliquer à une enfant de dix ans le mystère de sa naissance, le parcours de sa mère, la justification de son quasi-abandon, l'amour qu'elle ne peut lui exprimer mais qu'elle aimerait tant lui donner et l'identité de son père.
Trente pages pour anéantir toute l'émotion qu'Alice avait su nous faire partager. Trente pages qui, en réalité, ne s'adressent pas à sa fille, la pauvre petite aurait bien du mal à y trouver l'émotion et l'amour qu'elle cherche, mais au lecteur auquel il faut faire avaler l'abracadabrantesque scénario final de ce roman, époustouflant cas d'école du devoir dont la fin bâclée condamne l'ensemble.
Passons pour la version simplifiée des « années trente par les nuls », gorgée de simplismes (manifestation du 6 février 34 sans mentionner Stavisky), d'inexactitudes (le retour des camps fait en camion, la libération d'Auschwitz par les Américains au lieu des Russes), de clichés sans intérêt (les amis people de l'époque de Picasso à
Man Ray), d'invraisemblances (guérir du typhus alors que les premiers antibiotiques datent de 47) et de confusions (prendre les conséquences de la nuit de cristal en 38 pour celles de l'incendie du Reichstag en 33). le tout clairement survolé à travers les Ray Ban de ce début de XXIème siècle tellement réducteur qu'il frise le ridicule («je m'investis dans ce qui devint la Résistance »ou « il était impensable de te laisser grandir dans cette décadence »).
Quant à la séquence « émotion » elle débute très mal. La lettre est adressée à « Alice » et est signée « Diane », comment penser qu'une mère puisse écrire de cette façon à sa fille. La première phrase « la sensiblerie n'a jamais été mon fort » annonce la suite, « au début j'allais te voir régulièrement » puis la guerre éclate et pour finir, « tout a commencé par une envie très simple, un pain au chocolat. Peu de temps après j'ai rêvé d'une montre pour savoir l'heure exacte. Et en rentrant dans ma chambre, j'ai eu envie d'aller te chercher ».
La petite « voulait juste marcher tout droit » mais malheureusement, dans ce roman, quelque chose ne tourne pas rond.