Baudelaire livre ici une sorte de biographie d'un écrivain américain alors peu connu en France,
Edgar Allan Poe, qui doit servir de préface à la publication de ses oeuvres. Il veut donc faire connaître celui dont il admire l'écriture.
Ce n'est pas une biographie classique : certes, il y a les quelques mentions attendues de date, d'origine sociale, de première formation. Il y a quelques éléments sur les principaux textes publiés par
Poe. Mais
Baudelaire n'est ni un critique littéraire, ni un biographe. Il n'expose pas des faits bruts, il écrit lui-même en poète, sur un poète. C'est en cela que ce n'est pas une oeuvre froide, objective, mais bien une
oeuvre poétique sur la poésie et sur un poète.
Et
Baudelaire présente un « poète maudit » ; l'expression est postérieure, ce sera celle de
Verlaine, mais c'est la même idée. Pour
Baudelaire,
Poe fait partie du petit nombre d'élus marqués par « le quignon », des génies non reconnus par la société, méprisés et incapables de trouver leur place dans le monde – au sens du XIX ème siècle, c'est-à-dire la bonne bourgeoisie, les gens respectables et aisés financièrement, dont la vie est malheureuse, mais dont l'oeuvre rayonne et rayonnera surtout après leur mort. Et ce portrait peut apparaître comme un autoportrait en creux.
Poe est ainsi décrit quasiment comme un misérable qui doit chercher son pain, n'ayant pas les moyens de subsistance. Sa femme est malade et souffre beaucoup et longtemps. Et lui, boit – mais boit beaucoup. Il boit en partie pour oublier, mais pas seulement, et
Baudelaire présente cette ivresse comme une forme de long suicide, mais aussi un moyen pour rejoindre le monde de son imagination, pour recréer les visions de son esprit ;
Baudelaire écrira sur
les Paradis artificiels... Il n'est pas compris ni reconnu à la mesure de son talent, certains mettant en avant sa vie dissolue pour nier son génie, d'autres trouvant qu'il est trop original et fantasque, ne faisant pas assez d'oeuvres commerciales.
Poe est américain, et, pour
Baudelaire, c'est la société capitaliste dans toute son horreur. Il ne l'exprime pas totalement ainsi, mais il oppose le génie qui travaille pour exprimer ses visions, et le mercantilisme et l'appât du gain des autres écrivains qui ne pensent qu'à l'argent, à ce qu'un livre va rapporter.
Et si
Baudelaire admire tant
Poe, ce qui le distingue des autres – à sa propre image, c'est son goût pour le Beau : il admire la beauté en toute chose.