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Yves Florenne (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253014386
284 pages
Le Livre de Poche (16/05/1972)
4.06/5   738 notes
Résumé :
Faut-il partir ? Rester ? Le voyage intérieur n'est-il pas le seul qui enfante des beautés inconnues ? Vastes cieux enchantés, eaux fuyantes, gouffres amers, splendeurs océans... Le Paradis est là et ses noirs artifices, fruits de l'herbe et du pavot... Le haschich s'étend sur la vie comme un vernis magique, verte confiture de chanvre qui nous laisse aériens. Un vrai coup de soleil ! Avant le coup de tabac... Car, après l'ivresse, la volupté, l'homme-dieu, ce prince... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Lorsque j'ai lu, très jeune, Les Paradis Artificiels, je consommais alors comme drogue la poésie de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud. Rejetant les vertus bourgeoises et la bienséance, Baudelaire m'initiait alors à la rébellion par la beauté, le rêve et l'extase des sens.

Aussi cette expérience poétique nourrit-elle ma rébellion d'adolescent plus sûrement, plus durablement et sans détruire le corps et l'esprit que la mise en danger, la cigarette, le joint, l'exta, ou toute autre drogue ou addiction dont notre société de consommation moderne a le secret.

Parcourant avec avidité ces poèmes maudits, je crois que je ne me suis même pas rendu compte que les Paradis Artificiels étaient un Essai sur l'opium et le haschisch... ou bien cela n'avait pas d'importance : pour moi c'était de la poésie en prose ; et ça l'est toujours avant tout.

Le message de fond sur les drogues, pourtant, est bien passé, avec toute son ambiguïté. Pour moi donc une bonne lecture pour l'adolescent, tenté naturellement par l'excès.Point d'interdit, mais un rappel que tout à un prix, et, par l'exemple De Quincey, une démonstration efficace que même celui qui croit maîtriser peut se laisser abuser et sombrer dans l'annihilation de sa volonté.
Encore aujourd'hui, je ne peux m'empêcher de reconnaître après lui une force positive dionysiaque à l'ivresse, dasn certaines conditions, là où les autres drogues me semblent impossibles à réellement domestiquer.

Mais Baudelaire n'était ni neurologue ni pharmacien. Réduire Les Paradis baudelairiens à une étude des drogues et de leurs usages m'apparaît une hérésie, voire une insulte. Dans ces écrits, il chante le voyage artificiel, envoie des images puissantes, il envoûte, nous hallucine. La recherche de volupté implique des retours du réel, des tortures, des regrets, du spleen... et bien sûr que l'usage des drogues s'y retrouve, le kief ayant son prix, mais Baudelaire transcende tout cela par ses mots.

Il ne nous parle pas d'opium et de haschisch, il nous parle de la quête éperdue des hommes des rares moments d'éternité, là où "les lourdes ténèbres de l'existence commune et journalière" nous pèsent ; il nous parle d'un monde invisible , que la passion dévorante de l'âme humaine peine à rejoindre ; il nous parle de la magie de ces artifices lucifériens, dieux et diables, qui portent récompense et châtiment à l'humain avide d'infini.
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On n'a jamais aussi bien parlé du vin, du hachisch et de l'opium. Mais il ne faudrait certainement pas croire qu'il s'agirait d'en faire l'apologie, puisque Baudelaire insiste régulièrement sur les leurres et les dangers de ces drogues (à moins qu'il ne s'agisse pour lui, tout simplement, d'éviter les cris d'indignation de l'intégriste censure qui lui a causé tant d'histoire avec "Les Fleurs du Mal"). Ce livre ne poussera personne à se jeter sur le premier pétard venu, loin s'en faut. Il doit être lu pour ce qu'il a toujours cherché à être : une oeuvre de prose poétique. Car on oublie trop souvent d'évoquer, lorsque l'on traite de cette oeuvre, de l'admirable poésie baudelairienne, florilège d'images inattendues et sublimes. Et au delà du sujet, "Les Paradis artificiels" surprennent par leur composition, car Baudelaire réussi à éviter le piège de la monographie par ses fréquentes digressions, qu'elles soient des scènes, des contes, des portraits. On se croirait parfois chez Diderot ! Et même si la deuxième partie des Paradis artificiels, "Le mangeur d'opium", est une libre traduction d'une oeuvre de De Quincey, tout porte la signature du maître Baudelaire, comme lorsqu'il nous entraîne merveilleusement dans d'abyssales angoisses en traduisant les contes d'Edgar Allan Poe.
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Une sorte de longue notice d'utilisation de l'opium et du haschisch… avec quelques remarques sur la posologie et de longs paragraphes sur les effets secondaires et indésirables. le discours est élégant et le verbe est soigné, certes. Mais ça n'en fait pas à mon sens de la poésie. Ou alors je serais encore passée à côté de quelque chose ?
Baudelaire ne parle pas d'expérience personnelle, il rapporte des propos et des impressions, qu'il enrobe cependant de ses propres idées sur la question.

J'ai de toute façon persévéré jusqu'au bout, pour être bien sûre que rien ne viendrait succéder à l'ennui que j'ai eu à tourner ces pages. Eh bien non, rien n'est venu. D'autant que le contenu est décalé et largement dépassé par la connaissance que nous avons acquise depuis sur ces mêmes drogues, mais surtout par la transformations des drogues que nous sommes susceptibles de prendre de nos jours.
Reste le témoignage intéressant d'une époque, ou tout au moins d'un petit bout, tout petit bout, d'une époque, ces messieurs me semblant somme toute très peu représentatifs de l'ensemble. L'on se rend compte, tout de même, que des jeunes gens pouvaient rester oisifs très longtemps sous prétexte d'études. En tout temps, il faut bien que jeunesse se passe…



Autres temps, mêmes moeurs :
« Géraaaarrrd
[…]
Quand on voit la tristesse des biknites, on comprend pourquoi c'est interdit le hackique ! Et on se dit que le pinard, ça devrait être obligatoire.
[…] »

Extrait de « Tel père, tel fils », sketch de Coluche :
https://www.youtube.com/watch?v=w8Oa70HmXVU

Lien : https://chargedame.wordpress..
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Dans les Paradis Artificiels, Charles Baudelaire tente de nous faire comprendre les rapports étroits qui peuvent exister entre la consommation de stupéfiants et la création poétique, avec force détails sur les altérations psychiques que peuvent amener l'opium et autres substances psychotropes.
Mais bien qu'il en prenne un temps les apparences, ce n'est pas une étude ni un essai, de pages en page c'est une véritable descente aux enfer. Peu à peu, le lecteur se retrouve captif d'une sorte de voyage à faire littéralement dresser les cheveux sur la tête. Et s'il était tout a fait légitime de considérer ces Paradis artificiels comme un des grands textes fondateurs de la littérature fantastique ?

Et pour qui souhaiterait s'interroger sur les raisons profondes qui ont poussé le poète à traduire Edgar Allan Poe vers le français, pourquoi ne pas chercher quelques réponses parmi ce qui rampe et gémi entre les pages des Paradis Artificiels ?
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Haschisch, vin opium: amplificateurs de rêves?

Hilarité, apaisement ,.... mais aussi poésie:
- "les sons se revêtent de couleur"
- "sans mord, sans éperons, sans bride, partons à cheval sur le vin pour un ciel féerique et divin... Ma soeur, cote cote nageant, nous fuirons sans repos ni trêve vers le paradis de mes rêves."
- "le haschisch s'étend alors sur toute la vie comme un vernis magique; il la colore en solennité et en éclaire toute la profondeur. Les couleurs prendront une énergie inaccoutumée et entreront dans le cerveau avec une intensité victorieuse"


Mais un prix exorbitant:
- le raisonnement n'est plus qu'une épave à la merci des courants (un peu comme le vide intérieur de Nakata, qui le met à la merci du pouvoir de Johnny Walker, dans Kafka sur le rivage, de Murakami)
- "mais le lendemain, le terrible lendemain. Tous les organes relâchés, fatigués, les nerfs détendus, les titillantes envies de pleurer, l'impossibilité de s'appliquer à un travail suivi.... La hideuse nature, dépouillée de son illumination de la veille.
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Citations et extraits (89) Voir plus Ajouter une citation
C’est en effet à une période de l’ivresse que se manifeste une finesse nouvelle, une acuité supérieure dans tous les sens. L’odorat, la vue, l’ouïe, le toucher participent également à ce progrès. Les yeux visent l’infini. L’oreille perçoit des sons presque insaisissables au milieu du plus vaste tumulte. C’est alors que commencent les hallucinations. Les objets extérieurs prennent lentement, successivement, des apparences singulières ; ils se déforment et se transforment. Puis, arrivent les équivoques, les méprises et les transpositions d’idées. Les sons se revêtent de couleurs, et les couleurs contiennent une musique. Cela, dira-t-on, n’a rien que de fort naturel, et tout cerveau poétique, dans son état sain et normal, conçoit facilement ces analogies. Mais j’ai déjà averti le lecteur qu’il n’y avait rien de positivement surnaturel dans l’ivresse du haschisch ; seulement, ces analogies revêtent alors une vivacité inaccoutumée ; elles pénètrent, elles envahissent, elles accablent l’esprit de leur caractère despotique. Les notes musicales deviennent des nombres, et si votre esprit est doué de quelque aptitude mathématique, la mélodie, l’harmonie écoutée, tout en gardant son caractère voluptueux et sensuel, se transforment en une vaste opération arithmétique, où les nombres engendrent les nombres, et dont vous suivez les phases et la génération avec une facilité inexplicable et une agilité égale à celle de l’exécutant.

Le théâtre de Séraphin
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Le Palimpseste

Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste et le vôtre aussi, lecteur. Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri. » Toutefois, entre le palimpseste qui porte, superposées l’une sur l’autre, une tragédie grecque, une légende monacale et une histoire de chevalerie, et le palimpseste divin créé par Dieu, qui est notre incommensurable mémoire, se présente cette différence, que dans le premier il y a comme un chaos fantastique, grotesque, une collision entre des éléments hétérogènes ; tandis que dans le second la fatalité du tempérament met forcément une harmonie parmi les éléments les plus disparates. Quelque incohérente que soit une existence, l’unité humaine n’en est pas troublée. Tous les échos de la mémoire, si on pouvait les réveiller simultanément, formeraient un concert, agréable ou douloureux, mais logique et sans dissonances.
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Le Goût de l’infini

Ceux qui savent s’observer eux-mêmes et qui gardent la mémoire de leurs impressions, ceux-là qui ont su, comme Hoffmann, construire leur baromètre spirituel, ont eu parfois à noter, dans l’observatoire de leur pensée, de belles saisons, d’heureuses journées, de délicieuses minutes. Il est des jours où l’homme s’éveille avec un génie jeune et vigoureux. Ses paupières à peine déchargées du sommeil qui les scellait, le monde extérieur s’offre à lui avec un relief puissant, une netteté de contours, une richesse de couleurs admirables. Le monde moral ouvre ses vastes perspectives, pleines de clartés nouvelles. L’homme gratifié de cette béatitude, malheureusement rare et passagère, se sent à la fois plus artiste et plus juste, plus noble, pour tout dire en un mot. Mais ce qu’il y a de plus singulier dans cet état exceptionnel de l’esprit et des sens, que je puis sans exagération appeler paradisiaque, si je le compare aux lourdes ténèbres de l’existence commune et journalière, c’est qu’il n’a été créé par aucune cause bien visible et facile à définir. Est-il le résultat d’une bonne hygiène et d’un régime de sage ? Telle est la première explication qui s’offre à l’esprit ; mais nous sommes obligés de reconnaître que souvent cette merveille, cette espèce de prodige, se produit comme si elle était l’effet d’une puissance supérieure et invisible, extérieure à l’homme, après une période où celui-ci a fait abus de ses facultés physiques. Dirons-nous qu’elle est la récompense de la prière assidue et des ardeurs spirituelles ? Il est certain qu’une élévation constante du désir, une tension des forces spirituelles vers le ciel, serait le régime le plus propre à créer cette santé morale, si éclatante et si glorieuse ; mais en vertu de quelle loi absurde se manifeste-t-elle parfois après de coupables orgies de l’imagination, après un abus sophistique de la raison, qui est à son usage honnête et raisonnable ce que les tours de dislocation sont à la saine gymnastique ? C’est pourquoi je préfère considérer cette condition anormale de l’esprit comme une véritable grâce, comme un miroir magique où l’homme est invité à se voir en beau, c’est-à-dire tel qu’il devrait et pourrait être ; une espèce d’excitation angélique, un rappel à l’ordre sous une forme complimenteuse. De même une certaine école spiritualiste, qui a ses représentants en Angleterre et en Amérique, considère les phénomènes surnaturels, tels que les apparitions de fantômes, les revenants, etc., comme des manifestations de la volonté divine, attentive à réveiller dans l’esprit de l’homme le souvenir des réalités invisibles.

D’ailleurs cet état charmant et singulier, où toutes les forces s’équilibrent, où l’imagination, quoique merveilleusement puissante, n’entraîne pas à sa suite le sens moral dans de périlleuses aventures, où une sensibilité exquise n’est plus torturée par des nerfs malades, ces conseillers ordinaires du crime ou du désespoir, cet état merveilleux, dis-je, n’a pas de symptômes avant-coureurs. Il est aussi imprévu que le fantôme. C’est une espèce de hantise, mais de hantise intermittente, dont nous devrions tirer, si nous étions sages, la certitude d’une existence meilleure et l’espérance d’y atteindre par l’exercice journalier de notre volonté. Cette acuité de la pensée, cet enthousiasme des sens et de l’esprit, ont dû, en tout temps, apparaître à l’homme comme le premier des biens ; c’est pourquoi, ne considérant que la volupté immédiate, il a, sans s’inquiéter de violer les lois de sa constitution, cherché dans la science physique, dans la pharmaceutique, dans les plus grossières liqueurs, dans les parfums les plus subtils, sous tous les climats et dans tous les temps, les moyens de fuir, ne fût-ce que pour quelques heures, son habitacle de fange, et, comme dit l’auteur de Lazare : « d’emporter le Paradis d’un seul coup. » Hélas ! les vices de l’homme, si pleins d’horreur qu’on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l’infini ; seulement, c’est un goût qui se trompe souvent de route. On pourrait prendre dans un sens métaphorique le vulgaire proverbe : Tout chemin mène à Rome, et l’appliquer au monde moral ; tout mène à la récompense ou au châtiment, deux formes de l’éternité. L’esprit humain regorge de passions ; il en a à revendre, pour me servir d’une autre locution triviale ; mais ce malheureux esprit, dont la dépravation naturelle est aussi grande que son aptitude soudaine, quasi paradoxale, à la charité et aux vertus les plus ardues, est fécond en paradoxes qui lui permettent d’employer pour le mal le trop-plein de cette passion débordante. Il ne croit jamais se vendre en bloc. Il oublie, dans son infatuation, qu’il se joue à un plus fin et plus fort que lui, et que l’Esprit du Mal, même quand on ne lui livre qu’un cheveu, ne tarde pas à emporter la tête. Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l’homme) a donc voulu créer le Paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un maniaque qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C’est dans cette dépravation du sens de l’infini que gît, selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l’ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l’opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu’à l’ivrognerie la plus répugnante des faubourgs, qui, le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route.

Parmi les drogues les plus propres à créer ce que je nomme l’Idéal artificiel, laissant de côté les liqueurs, qui poussent vite à la fureur matérielle et terrassent la force spirituelle, et les parfums dont l’usage excessif, tout en rendant l’imagination de l’homme plus subtile, épuise graduellement ses forces physiques, les deux plus énergiques substances, celles dont l’emploi est le plus commode et le plus sous la main, sont le haschisch et l’opium. L’analyse des effets mystérieux et des jouissances morbides que peuvent engendrer ces drogues, des châtiments inévitables qui résultent de leur usage prolongé, et enfin de l’immoralité même impliquée dans cette poursuite d’un faux idéal, constitue le sujet de cette étude.
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Ce seigneur visible de la nature visible (je parle de l'homme) a donc voulu créer le paradis par la pharmacie, par les boissons fermentées, semblable à un maniaque qui remplacerait des meubles solides et des jardins véritables par des décors peints sur toile et montés sur châssis. C'est dans cette dépravation du sens de l'infini que gît selon moi, la raison de tous les excès coupables, depuis l'ivresse solitaire et concentrée du littérateur, qui, obligé de chercher dans l'opium un soulagement à une douleur physique, et ayant ainsi découvert une source de jouissances morbides, en a fait peu à peu son unique hygiène et comme le soleil de sa vie spirituelle, jusqu'à l'ivrognerie la plus répugnante des faubourgs, qui, le cerveau plein de flamme et de gloire, se roule ridiculement dans les ordures de la route.
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Ceux qui savent s’observer eux-mêmes et qui gardent la mémoire de leurs impressions, ceux-là qui ont su, comme Hoffmann, construire leur baromètre spirituel, ont eu parfois à noter, dans l’observatoire de leur pensée, de belles saisons, d’heureuses journées, de délicieuses minutes. Il est des jours où l’homme s’éveille avec un génie jeune et vigoureux. Ses paupières à peine déchargées du sommeil qui les scellait, le monde extérieur s’offre à lui avec un relief puissant, une netteté de contours, une richesse de couleurs admirables. Le monde moral ouvre ses vastes perspectives, pleines de clartés nouvelles. L’homme gratifié de cette béatitude, malheureusement rare et passagère, se sent à la fois plus artiste et plus juste, plus noble, pour tout dire en un mot. Mais ce qu’il y a de plus singulier dans cet état exceptionnel de l’esprit et des sens, que je puis sans exagération appeler paradisiaque, si je le compare aux lourdes ténèbres de l’existence commune et journalière, c’est qu’il n’a été créé par aucune cause bien visible et facile à définir. (...)

cet état charmant et singulier, où toutes les forces s’équilibrent, où l’imagination, quoique merveilleusement puissante, n’entraîne pas à sa suite le sens moral dans de périlleuses aventures, où une sensibilité exquise n’est plus torturée par des nerfs malades, ces conseillers ordinaires du crime ou du désespoir, cet état merveilleux, dis-je, n’a pas de symptômes avant-coureurs. Il est aussi imprévu que le fantôme. C’est une espèce de hantise, mais de hantise intermittente, dont nous devrions tirer, si nous étions sages, la certitude d’une existence meilleure et l’espérance d’y atteindre par l’exercice journalier de notre volonté.

Cette acuité de la pensée, cet enthousiasme des sens et de l’esprit, ont dû, en tout temps, apparaître à l’homme comme le premier des biens ; c’est pourquoi, ne considérant que la volupté immédiate, il a, sans s’inquiéter de violer les lois de sa constitution, cherché dans la science physique, dans la pharmaceutique, dans les plus grossières liqueurs, dans les parfums les plus subtils, sous tous les climats et dans tous les temps, les moyens de fuir, ne fût-ce que pour quelques heures, son habitacle de fange, et, comme dit l’auteur de Lazare : « d’emporter le Paradis d’un seul coup. »

Hélas ! les vices de l’homme, si pleins d’horreur qu’on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion !) de son goût de l’infini ; seulement, c’est un goût qui se trompe souvent de route. (...) tout mène à la récompense ou au châtiment, deux formes de l’éternité.

L’esprit humain regorge de passions ; il en a à revendre (...) ; ce malheureux esprit, dont la dépravation naturelle est aussi grande que son aptitude soudaine, quasi paradoxale, à la charité et aux vertus les plus ardues, est fécond en paradoxes qui lui permettent d’employer pour le mal le trop-plein de cette passion débordante. Il ne croit jamais se vendre en bloc. Il oublie, dans son infatuation, qu’il se joue à un plus fin et plus fort que lui, et que l’Esprit du Mal, même quand on ne lui livre qu’un cheveu, ne tarde pas à emporter la tête.
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