AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,21

sur 183 notes
5
34 avis
4
27 avis
3
5 avis
2
2 avis
1
0 avis
Lorsque j'ai été percutée par la beauté des Fleurs du Mal au lycée, La Charogne est le poème du recueil qui m'a le plus fascinée, sidérant de violence inattendue dans les mots d'un poète qui,s'adressant à son amante, lui prédit d'être une jour, elle aussi, mangée par une vermine qui la couvrira de baisers.

Dans ce roman en vers libres, absolument éblouissant, Clémentine Beauvais, donne une voix à la charogne, incarnée sous les traits de Grâce. Elle raconte sa vie à Jeanne Duval, la muse de Baudelaire, lorsque celle-ci rencontre sa carcasse pourrissant au détour d'un sentier. L'auteure s'empare du duo Grâce – Jeanne avec une liberté formelle vivifiante. le récit de poésie narrative ne s'enferre jamais dans un genre, rebondit dans plusieurs. Un anti-sclérose littéraire, tour à tour poétique, théâtral, sociétal, graphique, porté par une écriture savoureuse, à la fois lyrique et crue, narquoise et puissante. le travail sur la langue est remarquable, emplie de sensations, d'images, jouant sur le placement des mots sur la page sans que cela ne sente la pause ou la facilité.

Le texte, découpé en lieux ( « détour d'un sentier », « montagne », « ravin », « tout un monde lointain », « rue de la femme sans tête » etc ), choisit de mettre Baudelaire en retrait pour placer sous la lumière les deux femmes, Grâce et Jeanne. Superbe choix, politique, féministe, qui accouche d'une réflexion très générale sur la condition féminine.

On est très loin des muses du XIXème siècle à l'image figée par le regard masculin des grands artistes. le destin tragique de Grâce, couturière, prostituée, chirurgienne d'instinct, avorteuse puis tueuse, embrasse son désir d'émancipation et les difficultés auxquelles se heurte sa condition sociale défavorisée. Elle évolue avec les conditions de liberté qui lui sont données, minimales. le corps féminin est au coeur de ses tensions, jusqu'à sa putréfaction impudique, au détour d'un chantier.

Pour autant, jamais Clémentine Beauvais ne tombe dans le manichéisme et présente ses personnages féminins avec toutes leurs intrications contradictoires, leur violence aussi. La sororité, elle-même, n'est pas glorifiée comme une utopie souriante mais décrite dans sa complexité, les femmes sachant se faire les bourreaux de leurs consoeurs lorsqu'il faut rentrer dans la norme.

Cette revisite audacieuse, créative et originale du poème de Baudelaire m'a immédiatement plu, dès les premières pages qui m'ont bousculée et touchée , parlant aussi bien à l'intellect qu'au coeur. Réjouissant !

Ps : ce texte est le sixième publié par la collection Iconop ( dirigée par Cécile Coulon et Alexandre Bord ), projet littéraire fort excitant des éditions L'Iconoclaste mettant à l'honneur d'une poésie contemporaine sans entrave.
Commenter  J’apprécie          1126
Décomposée la charogne du célèbre poème de Baudelaire, Décomposés les amours du poète ;
Recomposée par les mots de Clémentine Beauvais l'histoire de celle qui fut femme avant d'être pourriture.
Dans un livre à la présentation originale, aux mots jetés dans un désordre savant, long poème en prose, ponctué de dialogues entre l'écrivain et sa muse, l'auteure invente la vie de cette charogne prénommée Grâce, contraste saisissant entre l'image qu'évoque ce prénom, tout en douceur, légèreté, et le réalisme cru de la description de ce cadavre, entre cette image et la vie de cette femme, qui ne connaitre que de rares moments de grâce.
J'ai aimé cette femme, qui va servir les autres femmes, de différentes manières, au cours de sa vie, celles-ci devenant au cours des désillusions qu'elle éprouve de plus en plus radicales :
« L'objet qui a servi à coudre les vêtements,
à réparer les plaies béantes,
à décrocher les enfants, sert
aujourd'hui à tout autre chose ;
à perforer les hommes gras et roses,
bourrés de bonne chère, repus des chairs
moroses
des femmes grises des maisons closes. »
Sur ce sentier, cette femme disparait, ses souvenirs s'évanouissent peu à peu, mais le dialogue s'ouvre avec Jeanne, Jeanne la muse du poète, dont l'auteure ne donne pas une vision bien sympathique. Il est celui qui ne peut voir qu'une prostituée dans cette femme morte les jambes en l'air. Il est celui qui pense la femme inférieure, prompte à se pâmer, alors que c'est lui qui manque défaillir :
« JEANNE pas un instant pas une seconde
je ne crus m'évanouir
CHARLES Jeanne je sais ce que j'ai vu ce que j'ai senti
pas la peine de me mentir :
La puanteur était si forte que sur l'herbe vous crûtes vous évanouir.
Jeanne vous riez pourquoi riez-vous ?
JEANNE mais parce qu'enfin qui dit crûtes ?
qui, avec sérieux, peut dire :
crûtes ?
crûtes est un mot qui fait rire »
Les deux femmes ont pris le pouvoir, dans ce texte, miroir impitoyable d'une société où il ne faisait pas bon naitre femme. J'admire la force de ce texte qui en peu de pages, livre un portait émouvant ancré dans la réalité de son époque.
Et ce petit livre rejoint mon étagère des livres que j'aime rouvrir, y glanant une phrasé de ci de là, parce qu'il est beau, parce qu'il est aussi le souvenir d'une parenthèse appréciée avec une personne qui m'est chère, à une époque difficile pour moi.
Commenter  J’apprécie          547
Encore une fois les fées vous nous proposez une lecture originale qui ici peut-être considérée comme un véritable ovni !

Clémentine Beauvais est une auteure qui a de nombreuses cordes à son arc. Après s'être essayée à la littérature jeunesse, young adult ou encore à la romance, notre jeune écrivaine s'aventure dans un nouveau genre; celui de la poésie. Par sa plume qui donne vie à des vers, Clémentine va revisiter l'une des oeuvres les plus connues de Charles Baudelaire: "Une Charogne".  Qui est donc ce cadavre qui gît sur le bord de la route et qui est en train de se faire dévorer par les insectes? Au fil des chapitres, Clémentine Bauvais va nous entraîner dans son imagination débordante pour redonner vie à ce corps.

Roman engagé et très poétique, cet ouvrage ne laissera pas indifférent de par sa forme et de son contenu. Je tiens à féliciter notre autrice qui sait se réinventer et qui ose s'aventurer dans des genres très variés.
Commenter  J’apprécie          410
À l'heure où la nuit se fait fraîche,
Où l'on entend les premiers sifflotements
D'oiseaux impatients de la lumière du jour,
Je me glisse dans la peau de Jeanne.

Tourmente des amours décomposés
De Charles,
Exotique muse invitant au voyage,
Tu fais naître en moi bien des curiosités.

Mais dans quel macabre dessein
Te fit poser Baudelaire
Cette charogne impudique
Qui à n'en pas douter se pare de tes traits.

Clémentine s'y est laissée tenter,
De sa prose en vers magnifique
Elle fit de la charogne,
Une belle monstrueuse.




Commenter  J’apprécie          403
L'essence divine de mes amours décomposés

Clémentine Beauvais est la nouvelle pépite dénichée par Cécile Coulon pour sa collection Iconopop. Ce roman écrit en vers libres rend à la fois hommage à Baudelaire, à sa muse et aux femmes. Idéal pour fêter le «Printemps de la poésie».

Écrit en vers libres, ce roman s'inspire d'un poème de Baudelaire et pourrait être une belle manière de rendre hommage au poète dont nous avons célébré en avril 2021 le 200e anniversaire de la naissance. Voici ce poème, qui vous éclairera sur la démarche de Clémentine Beauvais:
Une charogne
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!

Dans ce livre, la charogne s'appelle Grâce. Elle va dialoguer avec Jeanne, la compagne et muse de Baudelaire, qui la découvre au hasard d'un chemin, en se promenant au bras de Charles. le dialogue entre les deux femmes va se nourrir au fil des pages, comme un ruisseau devenant rivière, de leurs expériences, de leurs combats, de leurs souffrances. Car on reste bien dans la violence et la souffrance du poème. Et si on peut lire ce texte comme un chemin vers l'émancipation, on comprend d'emblée que cette soif de liberté se paiera par la mort.
Grâce va refuser de se fondre dans le moule et si comme ses consoeurs apprend à manier l'aiguille, ce n'est pas pour broder un trousseau, mais pour développer une habileté manuelle qui va la mener à devenir une faiseuse d'anges, tout en s'interrogeant sur le bien-fondé de sa chirurgie. Rattrapé par les hommes qui entendent décider ce qu'il convient de faire du corps des femmes, elle va susciter la colère de Jeanne qui réclame vengeance et qui, comme Baudelaire, va redonner la parole à la victime
« Tout mon corps veut que ça tranche
que ça blesse que ça saigne tout veut vengeance tout tremble de haine
mes yeux sont des dagues ma langue danse flamme de l'enfer
mes mains mes aiguilles mes pieds tarentelle des démons
et c'est alors que je prends ma nouvelle décision: j'ai couché avec eux j'ai été couchée par eux, sous eux, j'ai recousu ce qu'ils avaient cassé j'ai endormi leurs enfants perdus et maintenant je vais les tuer les tuer,
les hommes, les tuer dans leur sommeil
les tuer dans leurs calèches les tuer dans leurs salons les tuer dans leurs fauteuils
les tuer chez les femmes où ils cherchent refuge, les tuer jusqu'à ce qu'ils crient Grâce »
Cécile Coulon, qui dirige cette collection avec Alexandre Bord, a expliqué sa démarche sur les antennes de France Culture, soulignant que si on n'arrive pas à définir la poésie, on la reconnaît quand elle est là: «Je suis certaine que ce qui définit la poésie contemporaine c'est que, quand on est face à elle, que ce soit dans une salle de spectacle, dans une librairie ou sur internet on se dit: Je suis en train d'écouter ou de lire quelque chose qui me touche de manière si forte, que c'est forcément de la poésie.» En refermant ce livre de Clémentine Beauvais, on ne peut que lui donner raison.



Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          261
Écris en vers libre, ce récit revisite le poème de Charles Baudelaire « La charogne », est d'une grande modernité. le destin de Grâce nous est conté par Clémentine Beauvais et s'adresse à Jeanne, la muse de Baudelaire.
Au travers ce roman, on perçoit le cri des femmes ainsi que leur silence et leurs blessures. Dans ce récit, on découvre l'amour, la violence et la lâcheté des hommes.
L'auteure nous retrace la vie de Grâce, faiseuse d'ange, prostituée ou couturière et bien d'autres métiers encore …
Ce roman est dense, étonnant et unique. Tantôt grave, tantôt prenant au point de vouloir absolument connaître la suite.
Fait de texte, de titres évoquant des noms de lieux et d'un graphisme pour illustrer ces chapitres.
Un livre vers lequel je ne saurais pas allé, mais que j'ai pu découvrir grâce aux 68 Premières fois et aux Éditions L'Iconoclaste.
Commenter  J’apprécie          250
*****

Grâce est morte. Son corps est offert au vent, aux insectes, et se décompose au détour d'un sentier. Sous le regard de Jeanne, qui se promène alors avec son amoureux, Grâce reprend vie. On devine quelle femme elle était, celle au grand coeur, une aiguille à la main, pour coudre et recoudre tout ce qui devait être réparé…

Je ne suis pas très objective quand je lis Clémentine Beauvais. J'aime ses mots, son souffle, son univers. J'aime l'originalité de son écriture et le monde qu'elle nous offre à découvrir.

Ici, dans Décomposée, Clémentine Beauvais écrit en vers libres. Et c'est une explosion des sens, une bouffée d'air frais, un mélange d'ombres et de lumières.
Elle reprend le poème de Charles Baudelaire, une charogne, et invente une vie à ce corps en décomposition. Grâce apparaît sous nos yeux, beauté cachée dans ses miettes de vie, étincelle de chaleur et de générosité. Grâce qui protège, qui guéri, qui écoute et qui soulage. Grâce dont le fardeau de la violence se libèrera dans la vengeance…

Un immense merci aux 68 premières fois pour leur audace, pour leur ouverture sur un monde infini, pour le partage et la découverte. Merci pour ces quelques pages de bonheur pétillant…
Lien : https://lire-et-vous.fr/2022..
Commenter  J’apprécie          250
Clémentine Beauvais explore les chemins de traverse de la poésie avec ce nouveau titre . Décomposée revisite l'un des poèmes les plus célèbres de Baudelaire, dans une ingénieuse et jubilatoire réécriture féministe : « une charogne » s'adresse à la muse du poète Jeanne Duval, La forme du texte peut déstabiliser mais elle joue entre les genres pour mieux appréhender la fantaisie et le processus littéraire poétique. Cet ouvrage a bien des égards permet de dépasser les frontières et préjugés en mettant également en évidence Jeanne Duval dans son rôle de femme. La trame du récit se déguste comme un court roman qui rend hommage à l'histoire d'amour entre Baudelaire et sa muse à travers des dialogues savoureux et enrichis par la richesse des mots et de la langue.
Lien : http://www.liresousletilleul..
Commenter  J’apprécie          230
Entre roman et poésie, en nous faisant re-découvrir le poème de Charles Baudelaire La charogne, Clémentine Beauvais donne vie aux femmes oubliées.

Jeanne la muse du poète
Grâce, celle qui est abandonnée, morte dans le fossé, à la merci des charognards qui se repaissent de son cadavre.
Mais Grâce a eu une vie, des soeurs, un père et un frère.
Grâce a protégé les soeurs des assaults du frère en les subissant nuit après nuit, jusqu'au départ pour la ville.
Grâce à soigné les filles, les femmes, fait des anges de ces petits corps qui voulaient pousser dans le ventre des filles de rien, des femmes aussi.
A réparé les blessures, faites en tombant, faites en trimant, faites dans les silence des foyers où l'homme toujours est tout puissant.
Grâce abandonnée là, au bord du fossé.

Alors Jeanne la muse du poète entend, comprend, se remémore, sait qu'il ne faut pas oublier ces femmes qui aident, subissent, triment, partagent, donnent aux autres.

Une véritable surprise. Un roman à la forme originale qui sait dire les autres, la condition des femmes, l'avortement, le viol, la prostitution, la solidarité féminine mais aussi les lieux de vie et le temps qui passe.
Commenter  J’apprécie          170
Charles Baudelaire se promène avec Jeanne Duval, sa muse, quand il découvre une charogne. 

L'autrice revisite le poème “ Une charogne” de Charles Baudelaire et le transforme en un roman en vers.
Elle fait parler Charles et Jeanne.
La charogne exprime ses dernières pensées et ses souvenirs déjà entrain de s'évaporer dans l'air, eux aussi et c'est le destin de cette femme, de cette charogne, qu'elle imagine, la faisant prostituée, chirurgienne, avorteuse, tueuse en série.

"Ceci n'est plus mon corps. Dans la mort, il est devenu celui de tout le monde. Il appartient au détour d'un sentier à tout le monde.
Faites-en des poèmes. 
Je préfère cela à la tombe, à la pierre roussie de lichen, je préfère, c'est ma dernière coquetterie."

Une oeuvre singulière, intelligente et engagée. 
Un roman court et impertinent.
Commenter  J’apprécie          160




Lecteurs (406) Voir plus




{* *}