Teaser tournée "La langue des choses cachées" tournée | Cécile Coulon
Le monde ne comprendra jamais que les grands hommes ne sont pas ceux qui gagnent mais ceux qui n'abandonnent pas quand ils ont perdu.p.154
Au centre de la cour, un arbre centenaire, aux branches assez hautes pour y pendre un homme ou un pneu, arrose de son ombre le sol, si bien qu'en automne, lorsque Blanche sort de la maison pour faire le tour du domaine, la quantité de feuilles mortes et la profondeur du rouge qui les habille lui donnent l'impression d'avancer sur une terre qui aurait saigné toute la nuit.
L’air était froid, déjà le gel dessinait sur la pelouse une pellicule qui adoucissait le vert profond des brins. Deux oiseaux s’enfuirent à l’approche d’Aimée ; debout, devant les parterres de rosiers sans fleurs et de taillis sans couleurs, elle avala une grande bouffée d’air qui courut en elle de la gorge aux entrailles. L’odeur des sapins, prisonnière de ce froid nouveau, paraissait plus âpre, pénétrante, elle raidissait les bronches, gonflait les narines.
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Personne ne peut sauver personne, les gens doivent s’extirper d’eux-mêmes, sans attendre qu’une main vienne fouiller en eux pour en sortir le meilleur.
La famille d'Alexandre vivait chichement sans être pauvre, ils s'exprimaient avec des mots simples sans être idiots, existaient sans vivre.
La forêt crache les hommes comme des pépins, les bois bruissent, des traînées de brume couronnent leurs faîtes au lever du soleil, la lumière les habille. À l'automne, des vents furieux secouent les arbres. Les racines émergent alors du sol, les cimes retournent à la poussière, le sable, les branches et la boue séchée s'enlacent en tourbillons au-dessus des toits. Les fourmis s'abritent dans le ventre des collines, les renards trouent le sol, les cerfs s'enfuient ; les corbeaux, eux, résistent toujours à la violence des éléments.
Les hommes, pourtant, estiment pouvoir dominer la nature, discipliner ses turbulences, ils pensent la connaître. Ils s'y engouffrent pour la combler de leur présence, en oubliant, dans un terrible excès d'orgueil, qu'elle était là avant eux, qu'elle ne leur appartient pas, mais qu'ils lui appartiennent. Elle peut les broyer à la seule force de sa respiration, elle n'a qu'à frémir pour qu'ils disparaissent.
Le domaine Marchère lui apparaîtrait nettement, comme un paysage après la brume. Une fois le brouillard des sapins levé sur la colline, Aimée retiendrait dans sa gorge un hoquet de surprise : jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre.
Une bâtisse de pierre et de bois, aussi large qu’un couvent, aussi haute qu’une église, trônait au cœur du paysage.
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Candre, au deuxième rang, régnait sur sa femme : Claude la protégeait, lui la domestiquait.
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Elle apprenait la flûte à de jeunes élèves de première et deuxième année qui n’étaient point nombreuses. Les petites de familles bourgeoises se succédaient, envoyées là par leurs parents pour qu’elles sachent divertir les invités, lors de soirées mondaines ou de repas familiaux. Les jeunes femmes capables de maîtriser un instrument, en général le piano ou la flûte, trouvaient plus facilement un mari. De bonnes élèves feraient de bonnes épouses et, la plupart du temps, une fois mariées, elles abandonneraient l’instrument, poussant, à leur tour, leurs enfants à apprendre la musique, comme on apprend à multiplier des chiffres, à monter à cheval, à lire à haute voix des romans moraux.
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C’était une maison à vif, soumise au deuil et à la perte, indolente dans ce paysage où la forêt ne grignotait pas les hommes. Aimée se sentait défaite ; son père l’avait quittée, et l’amour des lieux avec lui.
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