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Critique de Fabinou7


Je n'avais jamais lu Bégaudeau romancier et par conséquent aucun a priori positif ou négatif.
Mais voilà, j'ai vu passer une critique des Inrocks titrant “le livre le plus condescendant de l'année” blabli blabla, me divulgachant au passage quelques éléments de l'histoire… J'y ai vu la revanche de celles et ceux que Bégaudeau a épinglé il y a quelques années, à savoir une certaine bourgeoisie de centre-gauche macro-compatible, qui feint de s'ignorer comme telle.

Les classes moyennes se glissent depuis des lustres dans la peau de papier d'aristocrates en proie aux affres de la passion, sentiment universel certes, mais drames qui ont toujours l'élégance de se passer dans des palaces, sous le regard interdit de domestiques anonymes.
Mais qu'une critique puisse parler de “sociologie de bas étage” dès lors que les personnages principaux sont peu ou prou autour du SMIC, les ramenant bassement à un objet d'étude sociologique, c'est quand même vraiment malaisant… une critique qui prend pour des “clichés” la vie, la vraie, de millions de français, à la fin qui est “condescendant” ?
Et la lire s'étouffer à la seule mention du mot “camping car”, validant, bien malgré elle, à nouveau et de façon flagrante, grossière, le portrait que faisait d'elle l'écrivain dans Histoire de ta Bêtise je dois avouer que ça a furieusement attisé ma curiosité.

“Dans le même genre, Jacques ne comprendra jamais qu'elle préfère entamer le pain frais plutôt que de finir le pain d'hier. Et pas la peine de venir nous raconter qu'elle en fera du pain perdu, elle n'en fait jamais. Ce que Jeanne peut éventuellement reconnaître, mais pour aussitôt observer qu'à ce compte-là ils ne mangeront jamais de pain frais. Si on mange le pain du jour le lendemain du jour, on mange toujours du pain d'hier. Ce à quoi Jacques objecte que ben voyons.”

Je tiens à présenter en avant-propos mes excuses à l'auteur qui ne goute guère les petits billets littéraires si j'en juge par cet extrait d'interview “Je mets en évidence la vacuité de certains discours sur la littérature, qu'ils soient tenus par les critiques, les profs, les écrivains eux-mêmes… Et les lecteurs !”, l'écrivain nous enjoignant à “l'analyse de détail” pour renouveler la critique littéraire. Et de détails, l'ouvrage n'en manque pas, c'est souvent aussi comme ça qu'on se rappelle les choses, sur les parkings des centres commerciaux, devant tel jeu télévisé, à tel point que je me demande si c'est un livre aisément traduisible tant les références sont souvent hexagonales.

"Et sans s'immoler chaque jour. On ne conserve point l'union fruitive. Que donne le parfait amour." Écrivit Corneille, bon on est pas tout à fait dans ce schéma-là. D'abord, jamais le mot “amour” n'est prononcé, si ce n'est lors d'un discours de mariage citant Saint-Paul. C'est évidemment une trace de l'ambition de l'écrivain pour ce livre : pas de passion, pas de pathos, pas de mélo, pas de noces de sang.

C'est que Bégaudeau le matérialiste, n'est jamais loin. Pour l'auteur on ne peut s'extraire des conditions matérielles de l'existence. Aussi, il remarque que ce sont souvent les histoires d'amour de la bourgeoisie qui ne font jamais état des questions d'argent, les personnages étant en quelque sorte en lévitation au-dessus d'une réalité matérielle très peu évoquée, libres de se consacrer aux caprices du coeur.

Ce n'est pas seulement dans l'intrigue que Bégaudeau colle à la situation sociale de ses personnages, mais c'est dans la narration toute entière, le style fait classe moyenne, un très beau style d'ailleurs.

Bon mais alors, à quoi est-ce qu'on assiste ? Eh bien à une vie de couple, sur moins d'une centaine de pages, avec ses rugosités, son intimité, son existence sociale (comme parents, comme amis etc) et ses conditions de vie, qui s'écoule non sans anicroches, mais dans une fluidité temporelle complète et qui dessine quelque chose de vertigineusement authentique, d'ailleurs, citant Saint-Paul, Bégaudeau l'écrit : l'amour “trouve sa joie dans ce qui est vrai.”

Quand on prend un peu de recul sur le tourbillon de la vie quotidienne que constitue ce bref roman on a presque l'impression de quelque chose de cinématographique, un peu comme ces scènes de flashback de toute une existence qui défilent à la fin du film avant que les personnages ne ferment définitivement les yeux. C'est intéressant de voir les souvenirs qui restent et ceux qui n'ont pas résisté au temps qui coule, étrange tri de la mémoire et de ce que le narrateur veut figer ou au contraire laisser libre au lecteur d'imaginer.

J'ai beaucoup aimé le début du livre, Bégaudeau touche immédiatement juste sur ces coups de coeur unilatéraux qu'on garde en soi, et qui se nourrissent vainement de notre imaginaire et de pensées magiques pour venir, comme une vague contre une digue, s'écraser et se retirer platement face au réel. On reconnait bien les vains calculs, les mesquins plans qu'échafaudent les adolescent(e)s pour se faire remarquer, si je passe par ici demain à telle heure, il ou elle me verra passer, et si je ris un peu fort là il va se retourner, si je me fais ami avec bidule je me rapprocherai de lui ou d'elle etc…

Je me demande si François Bégaudeau ne rend pas hommage quelque part à ses parents et, à travers eux, à ces millions de parents de la “classe moyenne” qui se sont mis ensemble dans ces années soixante-dix et qu'on a vu faire famille et rester ensemble (par amour, entre autre…) dans les décennies suivantes. La maturité sentimentale de l'auteur étant postérieure d'une génération au moins par rapport aux personnages du livre, toutes ses observations, ses inspirations n'ont pu être que celles du regard d'un enfant sur les couples que formaient les adultes de son l'époque, voyez.

C'est un livre qui, parce qu'il évite l'amour-passion, qu'il montre l'amour-patience, est extrêmement sensible et mélancolique dans sa pudeur, son quotidien, son “être auprès” comme le soulignait le philosophe François Jullien, et sa banalité (la vérité de n'être “que” ça c'est aussi quelque chose de puissant). Efficacement émouvant. En tout cas, moi, j'ai pleuré.

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