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Critique de Pasoa


Pasoa
15 septembre 2023
Jusqu'à récemment encore, je ne connaissais pas la poésie de Tahar Ben Jelloun. C'est au hasard de la découverte de son recueil Que la blessure se ferme, publié en 2011 aux éditions Gallimard, que je suis arrivé jusqu'à elle.

Le recueil débute par de beaux poèmes en vers, tous regroupés sous le titre « Lumière sur lumière ». Ces premiers textes rendent hommage à la vie du grand mystique perse Mansûr Al-Hallaj (858-922). Ils sont suivis par plusieurs poèmes évoquant la ville de Fès au Maroc. le portrait du maître soufi et de la cité marocaine ont entre eux une belle unité de style. Ils font apparaître chacun un sentiment de nostalgie, d'inquiétude, de douceur mais aussi une filiation intime à Mansur Al-Hallaj et à la ville de Fès, témoins illustres d'un passé lointain que seuls les mots peuvent encore contenir en soi.

« C'est peut-être dans le sommeil
Que les formes se libèrent

Entre ce qu'on sait et ce qui se cache

Formes toujours inachevées
Entre l'obscure évidence
Et l'espoir d'une issue de lumière »

D'autres textes suivent qui, dans la tonalité, sont plus surprenants. C'est le cas de « Naples ensevelie » ou « le désamour ».
Dans le premier, Tahar Ben Jelloun fait un portrait sans concession de la cité napolitaine, la décrivant croulant sous les ordures et les poubelles. Dans un long texte en prose, il s'emporte, s'acharne: « Dans cette faune de déchets se décomposant à l'infini aucun poète n'a le coeur de chanter les beautés de Naples. L'oiseau n'habite plus dans l'arbre. L'arbre n'a plus sa dignité d'arbre. Les poètes sont endeuillés par tant de laideur organisée. […]. Plus aucune saveur ne se dégage de ce gâchis monumental. »

Même sensation trouble dans « le désamour ». Ici, l'écrivain décrit avec justesse la douleur et la colère qui peuvent entourer la séparation d'un couple. Mais au fil de la lecture, j'ai senti (comme dans « Naples ensevelie ») que la poésie servait de prétexte pour se déverser sur celle qui partagea sa vie. Les mots sont durs, violents, révèlent une tension exacerbée.

« […] Tu m'as donné le frisson
C'était la peur d'avoir peur
L'effroi lu sur ton visage quand il crie vengeance

J'aurais aimé chanter avec Aragon
Et lui dire qu'il a raison
Mais tu m'as tout pris
Ma vie, mes biens, mon sourire
Et mon humour
Si c'est cela l'amour
Alors je n'ai jamais aimé
Je ne t'ai jamais aimée

Le poète a-t-il toujours raison ?
Même quand il souffre
Et détruit l'ancienne oraison ?
La femme n'a pas été mon avenir
[…] »

Les poèmes qui suivent, regroupés sous le titre de « Des Mots d'amour », sont eux chargés de plus de sérénité. Cette partie du recueil s'ouvre sur un magnifique texte dans lequel Tahar Ben Jelloun interroge le sentiment amoureux et le pouvoir des mots pour en rendre compte. Selon lui, les mots sont vains, insuffisants à traduire, à décrire pleinement le sentiment amoureux. Paradoxe de cette croyance, Ben Jelloun écrit un texte remarquable. En amour, la profusion des mots ne suffit pas. Avec peu, on peut dire beaucoup :

« Erreur
Charger les mots de dire l'amour
Tant ils sont boiteux étroits
Pris dans la moisissure de l'habitude
Usés dans la pâleur masquée

L'amour est ou n'est pas

Pas besoin de béquilles
Ni d'échelle pour monter au ciel
Une lumière aveuglante
Dans le sillage du silence élu
Une page blanche où le poème s'imprime
Amour sans annonce
Pudique comme un crime
Évident comme une nuit encombrée d'étoiles
Une belle nuit sans sommeil
Où nous sommes ce que nous sommes
Fragiles et abîmés
Espérant espérés
Vivants »

« Amine, mon fils trisomique » est un poème très personnel dans lequel l'auteur évoque avec une grande pudeur le handicap de son fils Amine. le texte est plein d'amour filial, de ce lien indéfectible qui va d'un père à son enfant. Dans les lignes pourtant apparaît la difficulté à subir les préjugés sur le handicap, les blessures qu'elles peuvent engendrer dans une société qui érige la performance et le bien-être en absolu.

Comme un chapitre, « Paradoxes » vient clore le recueil. C'est une longue suite d'aphorismes qui portent sur des sujets nombreux et variés comme l'amour, l'amitié, la mort, la mémoire, le destin, le temps, les origines,… Pour être sincère, Aussi intéressantes que soient les réflexions de Tahar Ben Jelloun, je n'ai pas saisi leur valeur poétique et ce que leur présence faisait dans un recueil de poésie.

Je ressors de la lecture de Que la blessure se ferme avec une impression mitigée, un peu trouble. La valeur des textes en prose et en vers, si elle est avérée dans plusieurs poèmes, m'a paru assez inégale. J'ai souvent eu l'impression que les convictions de Tahar Ben Jelloun dépassaient le champ poétique, qu'il suffisait d'une belle maîtrise de la langue et de sincérité pour donner sens et faire poésie. C'est évidemment beaucoup mais pas assez.
Que la blessure se ferme reste malgré tout une belle expérience de lecture.

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