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Critique de ninachevalier


Avec les romans de Clément Bénech on voyage hors de l'hexagone.
L'été slovène nous plonge dans des paysages idylliques de Slovènie ( lac de Bled) . Ce premier roman était considéré comme prometteur, à juste titre !
Un amour d'espion nous envole à New-York. Lève-toi et marche se déroule à Berlin.
De toute évidence, l'auteur a beaucoup voyagé et on ne s'étonne donc pas du choix de son héros, Romain. Ce jeune professeur de français tout juste titulaire, a opté pour un poste en Guyane dans Un vrai dépaysement. Mais bug informatique , tous ses plans avortés. Et même si l'erreur est reconnue, pas de recours possible, démarches vaines. Devant son insistance, on lui répond «  qu'il est impossible de revenir en arrière », «  l'algorithme a parlé » ! L'auteur pointe ainsi les défaillances des systèmes informatiques et leurs limites.
Mais où rêvait-il donc d'enseigner ? En Guyane, d'ailleurs il avait déjà acheté une moustiquaire, une touque, un miniventilateur de voyages...
Le roman débute le 21 juin 2013, à Bordeaux, lors de l'inauguration en grandes pompes du pont Montesquieu. le sémillant architecte, de 35 ans, qui a droit à son portrait en dernière page de "Sud Ouest" , n'est autre que le frère de Romain .On subodore que le discours d'Aurélien d'Astéries, a mis mal à l'aise son jeune frère qui n'embrasse à la rentrée qu'une carrière de prof. A cela s'ajoute la remarque désobligeante , « la schadenfreude » du père, d'un milieu bourgeois.
A quand donc son portrait dans la presse pour « clouer le bec » à sa famille ?
On suit son arrivée à Chaudezat, un trajet interminable, puis son installation chez son logeur, le père Grange, dans un ancien couvent des Ursulines. Sa rencontre avec le maître des lieux à fourrure est épique ! Dès son arrivée, il appelle sa mère pour la rassurer.
Puis on assiste aux premiers cours du professeur de français, aux expériences transdisciplinaires avec Fabien, le prof de gym. Tous deux, zélés, désireux d'appliquer les méthodes inculquées l'année de formation. On se salue avec des « checks », on dispose les tables autrement. Il y aura l'atelier crêpes pour travailler le texte injonctif, puis la sortie nature, sous le boisseau, émaillée d'un incident.
La principale ne manque pas d'intervenir, elle convoque Romain, le met en garde, le menace même d'écrire au ministre en cas de récidive. Suspense.On vit au rythme du collège, des congés de Romain qui doit s'adapter au climat hivernal. «  L'hiver à Chaudezat ressemble à une pente que l'on gravit vers de hauts plateaux où se trouvent des jours meilleurs ». Noël sera sans revoir sa famille.
Le collège Blaise Pascal fêtant son centenaire, on assiste au « happening » des commémorations. de nouveau un épisode festif, grandiose, qui met en ébullition !
On suit avec fébrilité le nouveau projet que l'enseignant motivé initie, autour de la Roumanie, désireux d'ouvrir ses élèves à d'autres cultures. On sait combien, en France, l'apprentissage des langues est une catastrophe. Il espère pouvoir impliquer son élève Jeanne Popescu ( que le mot « gauloise » insupporte) et ses parents. de plus le roumain est une langue complexe.
Les préparatifs de «  ce voyage à dessein » suscitent l'effervescence. Apparier les correspondants , un vrai casse-tête. En avril débutent les échanges virtuels. Passons au crible quelques-uns de la riche galerie de personnages qui gravitent autour de Romain, le trentenaire aux «  Wallabees  en daim», le gaffeur, qui confond une deux -chevaux avec une 4L. Parmi les plus marquants ou essentiels.
D'abord le père Grange, son logeur et cuisinier bienveillant, aux cheveux gris mi-longs ondulés, à l'esprit maternel ,dont le chat somnambule a causé à Romain une belle frayeur la première nuit.
Nouvelle rencontre animale terrorisante, celle causée par les rugissements de l'animal de compagnie de la famille Popescu ,le jour où il est invité chez eux. Une famille aux coutumes immémoriales, ( certaines surprenantes). Et pour Romain il a fallu se plier au proverbe : «  A Rome, fais comme les Romains », enfin ici les Roumains ! Repas pantagruélique à vomir ( sarmale, mici.. »). Episode théâtral épique! Comme un baptême du feu !
Une mauvaise blague à son insu, d'après son logeur.
Quant au pilier de l'établissement Blaise Pascal, Mademoiselle Angela Combes, « coiffée à la garçonne », elle arbore une chevelure rouge vif , « un costume en velours côtelé vert émeraude ainsi que des brodequins en box-calf ». Une principale, à la «  carrière au crépuscule » qui brandit souvent sa canne en bois «  semblable à un malika basque » dont le pommeau convoque Jules Ferry ! Sa façon de s'adresser à ses ouailles choque dans ses répliques familières à Romain: « jeune biquet », «  espèce de mule », quand il lui rappelle qu'il n'est «  pas payé pour faire le mariole ».

Fabien Bedenne, l'adonis béarnais amoureux d'une collègue, le prof de gym qui a travaillé en binôme avec Romain. Addict à son écran, il se fait tancer par Angela ! L'acrobate qui retombe mal et rentre de Roumanie, le coude plâtré ! Et enfin son ami complice, Henry Regamey, connu l'année de leur stage, avec qui il échangera beaucoup par mails. Ils évoquent , à gorge déployée, le jargon de l'un de leurs formateurs! Ainsi une bastonnade devient «  un conflit sociocognitif ». le chahut devient " un groupe en motricité".
Ils fustigent les méthodes de pédagogie qu'ils ont dû intégrer pour « apprendre à apprendre », lors d'ateliers spécifiques.
C'est à lui que Romain se confie, relate le voyage scolaire en Roumanie.
Les tribulations de ce professeur débutant conduisent à des situations cocasses , qui auraient de quoi alimenter un scénario!
Le dépaysement provient de tous ces mots étrangers ou régionaux qui ponctuent le livre, comme : « kakémonos, Schadenfreude, garimpeiros, adishat, kintsugi., quesadillas... » et de la pléthore de termes en italiques : «  dark side, shots »! L'originalité de ce livre vient de sa forme hybride qui échappe à toute classification !
Clément Bénech mêle récit en prose, dialogues, mails échangés entre les protagonistes, citations, croquis du monastère de Bârsana, portraits. On note dans ce roman de nombreuses références littéraires, étymologiques, et cinématographiques.
Le récit s'achève avec le séjour des élèves chez leurs correspondants, un nouveau chapitre foisonnant. Un voyage interminable de 35 heures. Trois jours d'immersion dans l'établissement roumain, activités diverses, visites pour les « ambassadeurs » de la France. Hélas, un accident conduit à une halte dans un hôpital. Des services saturés mais quelques billets peuvent faire accélérer la prise en charge.
L'épilogue relate le retour en apothéose pour Romain, comité d'accueil, discours du maire. Quel final ! Quel cadeau de fin d'année ! Une oeuvre d'art réalisée par « les artisans les plus habiles de Chaudezat ».
Comment pouvait-on imaginer une telle reconnaissance de la part de sa supérieure ! le voyage scolaire, en présence de la principale, a permis de réhabiliter l'enseignant tant décrié au début à cause d'initiatives marginales ! Elle fait d'ailleurs son mea-culpa pour avoir mal jugé Romain. Voici le blondinet adoubé par Mademoiselle Combes, qui loue sa « présence d'esprit » . Qui l'eût cru ?!
Et cerise sur le gâteau, une page dans " La Montagne", avec sa photo, une belle revanche sur sa famille !
Laissons le suspense quant à ses voeux pour l'année suivante...
Last but not least (1), comme le romancier a un esprit facétieux, il se paye l'audace d'inverser deux adjectifs dans une phrase, ce qui donne un sens étrange ! Au lecteur de saisir cette fantaisie ! Il multiplie les comparaisons surprenantes : «  ils se ressemblaient comme deux gouttes de liqueur de châtaigne. » Ou encore celle qui décrit le pays visité: " La Roumanie ressemblait à un gros poisson avec une courte queue."
D'aucuns voient en cet auteur un héritier de Marcel Aymé, Benoît Duteurtre, même de Vialatte, cité en exergue.
A lire par les enseignants qui retrouveront du vécu !
Un récit mâtiné d'humour, truffé de rebondissements, qui épingle la formation théorique des enseignants et son jargon. Ajoutons un neurone de plus à Romain et 5 étoiles à Clément Bénech sur Babelio !
Un coup de maître à saluer. Jubilatoire !
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