— Le dîner est-il prêt? a-t-il enchaîné brusquement.
J’ai saisi à cet instant que je n’étais plus qu’une ménagère pour lui. La mère de ses enfants. Sa femme de ménage. Sa blanchisseuse. Sa cuisinière. Je ne serais jamais rien d’autre.
(10/18, p. 313)
J'avais dit un jour à Albert que si nous étions une seule et même pierre, ce n'était pas un seul et même cœur qui battait en nous. Cette accusation s'était révélée une prédiction troublante d'exactitude, surtout sous le ciel inhospitalier de Prague.
- Je crois bien que c'est la première fois que je vous vois un tel sourire, a-t-il dit en me regardant fixement. C'est tout à fait plaisant. J'aimerais en arracher davantage à votre petite bouche si sérieuse.
Si Albert n'appréciait pas la compagne docile que j'étais devenue ces dernières années - la physicienne ratée dont il pouvait piller les idées à volonté et l'épouse qui se soumettait à ses moindres désirs -, il détesterait carrément retrouver l'ancienne Mileva. Et c'était précisément cette personne qui l'accueillerait à la fin de sa lâche escapade avec sa maîtresse, Elsa.
Amour et travail ne font pas bon ménage. Pour les femmes, en tout cas.
Félicitations, madame Einstein, m'a-t-il murmuré à l'oreille. Nous sommes maintenant Ein Stein, une seule et même pierre.
j'ai eu une épiphanie scientifique, Johnny, ai-je dit en me redressant
Ah oui!
Ses yeux éteints ont soudain brillé dans la lumière des reverbères qui se déversait par la fenêtre.
— Ce nom est aussi beau que l’arbre lui-même, ai-je dit.
— Oui, j’ai toujours eu un faible pour lui. Il est assez lyrique. Le Fagus sylvatica peut vivre jusqu’à près de trois cents ans et dépasser les trente mètres de haut, à condition d’avoir assez d’espace. Mais s’il est étouffé par les autres, sa croissance sera stoppée, a-t-elle ajouté avec un sourire énigmatique.
J’ai saisi son message. Chacune de nous, à sa manière, était un Fagus sylvatica.
J’ai reporté mon attention sur le sentie
Prendre la parole avant lui aurait été perçu comme une marque d’insolence extrême, et je ne pouvais me permettre un jugement de ce type dans la mesure où beaucoup assimilaient déjà ma présence dans cette école à une provocation. Il me fallait trouver le juste équilibre entre ma détermination à avancer sur un sentier encore peu battu et le respect des convenances que l’on attendait de moi.
« Mademoiselle Maric, je suis fou amoureux de vous. Je vous promets que mon amour n’interférera jamais avec votre carrière. Au contraire, il ne fera que vous propulser en avant. Ensemble, nous deviendrons le couple bohème idéal – égaux en amour et en travail ».