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Critique de boudicca


A l'occasion du lancement de leur nouvelle collection imaginaire (dirigée par Gilles Dumay, ancien directeur de collection chez Denoël), les éditions Albin Michel ont publié fin septembre trois romans relevant respectivement de la fantasy (« Mage de batailles »), de la SF (« Anatèm ») et du fantastique avec « American Elsewhere ». le pari était assez risqué puisque, bien que déjà publié en France (« Mr Shivers » paru chez Panini en 2011), Robert Jackson Bennett reste un auteur assez méconnu du grand public. le roman mérite pourtant qu'on s'y intéresse, même si tout n'est évidemment pas parfait. L'auteur y met en scène une baroudeuse d'une trentaine d'années, Mona, qui vient d'apprendre la mort de son père. Si la nouvelle ne l'atteint pas particulièrement, il en est autrement de son testament dans lequel elle découvre que sa mère (décédée elle aussi il y a plusieurs années) disposait d'une maison qui lui revient maintenant de droit. Mais plus que la maison, c'est la ville dans laquelle elle se trouve qui éveille la curiosité de cette ancienne flic. D'abord, elle ne trouve aucune mention de Wink sur aucune carte, et l'état lui même semble ignorer non seulement son emplacement mais aussi son existence. Ensuite, cette petite ville à priori paradisiaque qui semble tout droit sortie d'une brochure pour vanter les mérites de l'Amérique des années 60 a été construite autour d'un centre de recherches classé top secret et à propos duquel, là encore, presque rien n'a fuité depuis des années. Et surtout il y a les habitants, tous plus étranges les uns que les autres : certains ont des lubies complètement farfelues, d'autres des réactions inappropriées, et la majorité d'entre eux semblent craindre quelque chose et obéissent à des règles tacites extrêmement strictes (ne pas sortir le soir, ne pas s'approcher de la forêt…).

L'arrivée de Mona va déclencher toute une série d'événements qui va venir bouleverser le quotidien de cette étrange petite bourgade et de ses habitants. le récit mêle habillement SF et fantastique, et parvient dès les premières pages à happer le lecteur qui se retrouve à dévorer avec avidité ce pavé de huit cent pages. Difficile en effet de refréner sa curiosité à l'idée de voir les mystères de Wink enfin révélés, d'autant que ces derniers ne font que se multiplier au fil des pages : pourquoi la ville est totalement coupée du monde ? Qui sont vraiment ses habitants ? Sur quoi portaient les recherches du laboratoire autour de laquelle la ville s'est construite ? Quelles sont les créatures terrifiantes qui hantent les bois ? On suit donc avec intérêt l'évolution de l'enquête de Mona qui se révèle être un personnage attachant, tant par ses capacités d'adaptation que par sa force de caractère, et ce en dépit d'un drame personnel particulièrement traumatisant. Les autres personnages sont évidemment plus en retrait, mais la plupart on malgré tout droit à leur petit passage sur le devant de la scène. L'auteur n'hésite en effet pas à changer de temps en temps de points de vue, laissant de côté Mona pour se focaliser brièvement sur un habitant ou un observateur extérieur. Les curieux habitants de Wink restent cela dit les plus marquants, moins par leur nature elle-même que par tout un ensemble de petits détails dont l'auteur se sert pour les définir et qui font sentir au lecteur que quelque chose cloche. Quoi de plus inquiétant en effet que la monstruosité cachée derrière la banalité la plus confondante ? Quoi de plus perturbant que d'imaginer la parfaite mère de famille ou le parfait voisin passant son temps à bichonner sa voiture ou entretenir son jardin comme de simples rôles ou costumes ? le malaise s'installe ainsi rapidement, et ne quittera plus le lecteur avant la dernière ligne qui offre une conclusion satisfaisante et apporte enfin des réponses à toutes les questions posées depuis le début.

De nombreux lecteurs font le parallèle avec de grands auteurs comme Stephen King ou Lovecraft, mais le roman peut aussi faire penser par certains aspects à Dan Simmons (« L'échiquier du mal » surtout), voire même China Mieville (pour le « bestiaire » un peu farfelu). Les comparaisons sont flatteuses (et globalement méritées) même s'il faut bien reconnaître que l'oeuvre de Robert Jackson Bennett reste tout de même un cran en dessous de celles de ces maîtres du fantastique. Plusieurs bémols empêchent en effet à l'angoisse de vraiment s'installer dans l'esprit du lecteur, à commencer par la prévisibilité de la plupart des événements. La majorité des rebondissements sont ainsi assez faciles à anticiper, ce qui nuit non seulement au récit mais aussi à l'héroïne dont on a trop souvent l'impression qu'elle ne comprend ni ne réagit assez vite. Alors certes, celle-ci ne dispose pas de tous les éléments auxquels le lecteur peut avoir accès, mais il n'empêche qu'il est un peu dommage de la voir laborieusement assembler les pièces du puzzle, alors qu'on est nous même arrivé tout comprendre bien plus tôt. Ce phénomène s'explique en partie par la fâcheuse manie qu'a l'auteur de vouloir expliquer plutôt que de se contenter de suggérer, même si cela part sans aucun doute d'une bonne intention à l'égard du lecteur. le problème, c'est que servir toutes les explications sur un plateau empêche le lecteur de faire véritablement travailler son imagination, or c'est justement généralement ce qui permet à l'angoisse de s'installer : c'est parce qu'on ne sait pas vraiment à qui ou à quoi on a affaire qu'on prend peur. Il est également dommage de voir la plupart de ces explications êtres délivrées de manière assez maladroite, à savoir d'un seul bloc et par le biais d'une seule et même source.

Lancement réussi pour le volet fantastique de la nouvelle collection Albin Michel Imaginaire. « Amercian Elsewhere » est un roman solide qui, malgré quelques bémols liés à un surplus d'explications, permet au lecteur de passer un bon moment d'angoisse aux côtés d'une héroïne d'une sacrée trempe. A découvrir !
Lien : https://lebibliocosme.fr/201..
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