Je suis rentré d'Auschwitz le onze avril 1945. Je fêterai demain mes quatre-vingt deux ans. D'un point de vue strictement juif, je n'ai jamais été plus détendu qu'après Auschwitz. S'appeler Zimmer et habiter Paris après avoir été déporté là-bas, c'était quelque chose dont on ne mesure pas la portée. Ça vous avait des parfums de sainteté. Je le dis tel que je le ressens, et n'en déplaise à certains, jamais je n'aurai été plus apaisé qu'à l'époque où je suis rentré des camps. Encore que le mot apaisé me semble mal choisi. Mes nuits étaient agitées. Il y avait tout de même des choses dont je peinais à me défaire. Mais ne pinaillons pas. Il fallait s'appeler Zimmer à la Libération et flâner aux abords du Vélodrome d'Hiver en arborant un numéro à l'avant-bras. C'était quelque chose.
On n'est jamais seul quand on est juif.
Où qu'on aille, dans n'importe quelle grande ville, on peut être certain qu'une place, une rue, une plaque ou un bâtiment nous accordera l'honneur du souvenir.
Que le fait de ne plus nous trouver aussi drôles les déstabilise, que la nostalgie de l'esprit juif – cet esprit juif qu'ils appréciaient sans comprendre qu'ils se faisaient baiser – les conduise à perdre le sens des réalités. Où sont passés nos Juifs si drôles ? Où sont passés nos Juifs si bons compagnons et si pleins d'esprit et comment ont-ils pu nous faire ça ? !!, ils sont là à tituber, sont pris de vertiges, et voilà comment on se retrouve un beau jour à sucer des glaçons dans un train.