Dans les yeux du ciel

Quant à moi... ma famille aurait pu être mon sanctuaire. Mais, familles, je vous aime et je vous hais. Vous nous avez donné, à nous vos enfants, l'amour sans jamais le nommer. Comme si la tendresse était une faiblesse, une déficience, une lâcheté. Vous nous avez appris à taire nos sentiments, à contenir nos rires, à rougir de nos larmes, à nous contrôler, nous maîtriser, dompter nos enthousiasmes, rentrer dans le rang. Comment aimer, comment vivre parmi vous ? Comment devenir ce que l'on est quand vous nous contraignez à devenir ce que l'on hait ?

Je ne sais pas ce qu’Amine a raconté de nos séances à son père, mais celui-ci est également devenu un habitué.
Plus surprenant, cela a donné aussi des idées à sa mère. Sous prétexte de prendre auprès de moi des nouvelles des progrès de son fils, la génitrice règle ses comptes avec les aventures de son mari. Je reçois ainsi des volées de badine au nom de toutes ses maîtresses.
Cette famille est la plus mal assortie que je connaisse. La soif d’argent est son ciment. Sa libido mon assurance chômage.

La prostitution, c'est grâce à elle que beaucoup survivent dans la capitale. C'est aussi à cause d'elle que l'on crève jeune ... Du sida. D'overdose. Assassinée. Quand tu n'as pas de veine, il t'en reste quand même à sectionner, celles des poignets. Sur le coup, ça fait mal. Et puis tu te vides doucement. Comme un mouton de l'Aïd.

Mais les pires, ce sont ceux qui sont vraiment gentils. Ceux qui te donnent à penser qu'ils auraient pu être ton mari. Que tu leur en aurais donné beaucoup plus par amour qu'ils ne peuvent obtenir avec leur argent. C'est cet individu avec lequel tu aurais pu faire des promenades en bord de mer en tenant la main de ses enfants. Celui contre lequel tu te serais blottie dans une salle de cinéma. Celui qui aurait essuyé tendrement tes larmes en te serrant contre lui quand les malheurs de la vie t'auraient foudroyée. Celui-ci est le pire d'entre tous. Car il te fait espérer.

Les hommes me seront toujours une énigme. Je suis sûre qu’ils valent mieux que ce qu’ils me donnent à entrevoir. Même comme amants. Ont-ils jamais pensé à offrir du plaisir à une femme ? Gratuitement ? Juste pour faire plaisir ? Je peux être à genoux devant eux, bouche ouverte, j’en sais plus sur eux-mêmes qu’ils n’en sauront jamais. Ils ne se voient pas expirer, suinter, grimacer, grogner… Pleurer, parfois. Surtout, ils ne s’entendent pas parler, éructer. Me traiter de « sale pute », de « salope » ou crier des prénoms qui me sont inconnus mais qui représentent ceux qu’ils veulent tant foutre.

Je n'ai ni la phobie ni le dégout des hommes. Nous ne vivons simplement pas dans le même monde. Rien de plus.

Il n y a pas de Roméo sous ma fenêtre. Je ne suis pas Juliette .

Une femme enfermée dans une prison dominée par des mâles. De la naissance à la mort, nous n’avons pas d’autre vocation que de servir nos maîtres de droit divin : père, frères, oncles, époux. Califes et muftis maintiennent l’étau serré. Si peu de femmes se rebellent. Gamines puis épouses maltraitées, la plupart d’entre elles se vengent sur leurs filles. Leurs fils sont éduqués comme des princes. Ils ont autorité sur leurs sœurs, même aînées.

C’est plus facile de faire la révolution que de mettre en place une vraie démocratie. Ça prendra des décennies, si ce n’est davantage. Aujourd’hui, c’est si difficile pour les électeurs de s’y retrouver. Tous prétendent détenir la vérité. Et, à ce jeu-là, ce sont les menteurs les plus aguerris qui gagneront.

Comment devenir ce que l'on est quand vous nous contraignez à devenir ce que l'on hait?