Le pouvoir laisserait l’opposition s’exprimer un minimum. À la fois pour rassurer les agités des droits de l’homme et pour que la société ait le sentiment confus qu’un semblant de vie démocratique existait ici. Comme une bouffée d’oxygène que l’on s’accorde de temps à autre. Comme un trompe-l’œil.
Les puissances occidentales ont continué à piller le pays avec la complicité grassement rémunérée des militaires et des islamistes. La stabilité est bonne pour mes affaires et pour celles de tous les entrepreneurs. Les riches sont devenus encore plus riches. Les pauvres encore plus pauvres. Les tyrans encore plus tyranniques. Les sceptiques encore plus sceptiques. Et les poètes ?
L’hypocrisie est de toutes les religions, de toutes les obédiences, de toutes les idéologies. Le silence, son complice. Ce barbu crasseux d’Osmane frappe encore plus fort que monsieur le gouverneur. Une violence pure. Il n’a pour moi que des mots blessants, infamants. Sans relief. Son champ lexical est un lopin de terre aride.
Ceux qui hier encore louaient les vertus de la laïcité et faisaient leurs ablutions au whisky se sont découvert une foi insoupçonnée. L’islam est leur nouveau credo. Allah est désormais grand à leurs yeux. Et partout on fait des affaires.
L’homme est recommandé par l’ancien gouverneur, dont on annonce le retour triomphal dans quelques jours. J’ai compris le message : les coups de cravache seront sa jouissance.
C’est plus facile de faire la révolution que de mettre en place une vraie démocratie. Ça prendra des décennies, si ce n’est davantage. Aujourd’hui, c’est si difficile pour les électeurs de s’y retrouver. Tous prétendent détenir la vérité. Et, à ce jeu-là, ce sont les menteurs les plus aguerris qui gagneront.
Les femmes ne sont pas en reste. Ce sont souvent les plus virulentes. Derrière les hijabs immaculés et rageurs se cachent fréquemment des âmes répugnantes. Slimane s’assied à côté de moi et me tient la main. Le journal s’ouvre sur un événement tragique. Deux femmes dont les voisins ont dénoncé les ébats saphiques ont été lynchées par des fidèles après la grande prière. Défenestrées, lapidées puis pendues par un pied à un mât. Les chaînes arabes ne sont pas avares d’images abjectes. Pétrifiée par la nouvelle, je ne peux m’empêcher de regarder ces corps tournoyant sur eux-mêmes. Le plan serré sur leurs visages m’horrifie.
Je ne suis pas psychologue ni psychiatre, pourtant je suis très inquiète pour lui. Ses parents jouent le jeu de l’islam par appât du gain. Lui semble réellement et sincèrement adhérer à l’utopie islamiste. Ce pays est désespérément prévisible.
Les islamistes sortent de l’ombre. Et ils n’aiment pas les poètes. Ni les hommes libres. Les élections ont été fixées pour dans trois semaines. Je ne me fais aucune illusion sur les résultats.
La période est propice aux règlements de comptes. Il y a bien sûr les Omar qui paient leur bonne entente avec l’ancien régime. Et, au sein même de l’appareil d’État, des rééquilibrages se font dans le sang. Les généraux qui contrôlaient chacun un pan de l’économie nationale profitent de la période pour élargir leur zone d’influence. Les moins ambitieux en font les frais : on a déjà retrouvé deux cadavres parmi eux. Entre la police et l’armée, ça s’affronte aussi. Durant la dernière décennie, les flics ont pris une importance exagérée aux yeux des militaires. Au quotidien, les soldats avaient peu de contact avec la population. L’extorsion de fonds des citoyens ordinaires était surtout le fait de la police.