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EAN : 9782021435092
96 pages
Seuil (02/01/2020)
4.1/5   225 notes
Résumé :
« Vous vous demandez sans doute ce que je fais dans la chambre de ma mère. Moi, le professeur de lettres de l'Université catholique de Louvain. Qui n'a jamais trouvé à se marier. Attendant, un livre à la main, le réveil possible de sa génitrice. Une maman fatiguée, lassée, ravinée par la vie et ses aléas. La Peau de chagrin, de Balzac, c'est le titre de cet ouvrage. Une édition ancienne, usée jusqu'à en effacer l'encre par endroits. Ma mère ne sait pas lire. Elle au... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (56) Voir plus Ajouter une critique
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Ainsi parlait ma mère - Rachid Benzine - Éditions du Seuil - Roman - lu le 24 avril 2022.

"A l'heure où j'écris ces lignes, j'ai désormais 54 ans et elle...quatre-vingt-treize"

Un roman, sans doute, mais probablement avec une part de vrai. Rachid Benzine est enseignant, tout comme le narrateur. L'auteur est tellement au plus près du possible qu'il y a certainement une part de vécu dans cette histoire.

Dernier d'une fratrie de quatre garçons, célibataire, le narrateur dont on ne connait pas le prénom ni le nom, ni ceux de sa mère d'ailleurs, a fait le choix de s'occuper d'elle, elle a 78 ans et ne peut plus rester seule.

L'histoire se déroule à Schaerbeek, commune de Bruxelles, dans un petit deux pièces. Il la soigne, la lave, la nourrit, bref, la prend en charge complètement.

Il lui lit inlassablement La peau de chagrinDe Balzac, choix étonnant de lecture de la mère, analphabète qui ne se lasse pas d'écouter son fils lui faire la lecture. Venant d'un petit village marocain, cette mère analphabète a pourtant assuré une éducation et une morale sans faille à ses enfants, non sans souffrance, car elle a été humiliée bien souvent.

"Jusqu'à un passé très récent, ma mère ne nous a jamais rien dit des souffrances qu'elle a endurées" page 21

"On guérit d'un coup de lance mais on ne guérit pas d'un coup de langue" page 63

Ces quatre phrases disent à elles seules toutes les blessures qu'elle a eues.

Au fil des jour, au fil des pages, on se rend compte que ce fils découvre vraiment qui est sa mère, cette femme qu'il ne connaissait pas, à travers leurs échanges quotidiens et aussi ceux qu'ils avaient au sujet du livre La peau de chagrin, seul livre dont elle voulait entendre la lecture.

J'ai découvert avec ce fils, une femme, une mère qui avait de grandes qualités de coeur et de respect des autres.

Ce qui l'irritait le plus, "c'était la vulgarité. Pas la vulgarité dans le langage, cela la heurtait mais ne la touchait pas vraiment. Non, c'était la vulgarité du mépris s'incarnant dans la puissance qui la heurtait" page 65

Et puis, cette fin du roman, magnifique :
"Je ne sais pas si ma mère a été une bonne mère. Ou simplement une mère qui a fait ce qu'elle a pu. Avec ce que Dieu lui a donné comme connaissance, comme amour, comme courage. Comme patience aussi. Je sais juste que c'est la mienne. Et que ma plus grande richesse en cette vie est d'avoir pu l'aimer"

Ainsi parlait ma mère de Rachid Benzine est un splendide hommage à sa mère. Lu d'une traite dans le train m'emmenant en visite chez mon fils. 91 pages d'amour, de dévouement et de sagesse.

A lire sans aucun doute.
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Rachid Benzine est islamologue et chercheur associé au Fonds Ricoeur. J'avais grandement apprécié la clarté et l'intelligence de son le Coran expliqué aux jeunes. Je le découvre écrivain avec ce premier roman acheté suite à son lumineux passage dans La Grande Librairie.

Qu'est-ce qui fait qu'un livre si petit par le nombre de pages et si modeste - de prime abord - par le sujet abordé ( un hommage à la mère ) résonne et bouleverse jusqu'à tendre vers quelque chose de terriblement universel ? Sûrement sa délicate justesse et une simplicité teintée d'évidence qui le rend accessible tout en étant précis dans le propos et ce, sans facilité.

Sans doute l'auteur a-t-il mis beaucoup de lui dans ces pages. Mais cela ne suffit pas pour toucher. Par le choix de la fiction plutôt que du récit autobiographique à la première personne, il parvient à sublimer le réel car sa sincérité affleure à chaque phrase. Les émotions qu'il décrit sont vraies et lui permettent d'aborder des thèmes très forts avec finesse : l'intégration, la relation filiale, la honte sociale, la puissance de la littérature, le vieillissement des corps et la fin de vie.

Le narrateur est un enseignant d'une cinquante d'années, célibataire, sans enfant, qui vit seul avec sa vieille mère dépendante : il prend soin de celle qui a pris soin de lui avant qu'elle ne le quitte. Cette dernière est illettrée, lui a réussi et est désormais un transfuge de classe. Cette fracture culturelle, la honte sociale qui en découle, je l'ai rarement lue aussi bien rendue.

Et c'est très beau lorsqu'il explique comment sa mère lui échappe, elle l'analphabète qui réclame la lecture orale sempiternelle de la Peau de chagrinDe Balzac, obsessionnellement. Il ne la comprend pas, pense qu'elle ne comprend rien à ce texte subtil et sensuel, comme si son analphabétisme disqualifiait son expérience, sa connaissance de la vie, forcément supérieure à la sienne.

Et c'est très touchant de voir comment un livre permet de créer un monde commun entre un fils et une mère qui n'ont rien en commun à part l'amour qu'ils se portent. La fin est bouleversante et clôt magnifiquement un texte limpide, pudique et juste qui fait réfléchir à sa propre histoire.
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Le narrateur est au chevet de sa mère âgée et en fin de vie. Cela fait des années que, célibataire, il a fait le choix de ne plus se partager qu'entre son métier de professeur de lettres et la vieille femme grabataire. Conscient que leurs jours de cohabitation sont désormais comptés, il se remémore quelques faits marquants qui, trait par trait, dessinent l'émouvant portrait de cette Marocaine arrivée en Belgique dans les années cinquante, qui mena une vie modeste, digne et courageuse, avec pour seul espoir l'avenir de ses cinq enfants.


Procédant par petites touches toutes en pudeur et délicatesse, Rachid Benzine réussit à nous faire fondre de tendresse pour cette femme étonnante de naturel, de fraîcheur et de spontanéité. Entre tristesse et cocasserie, lucidité et poésie, c'est toute une palette d'émotions qui s'empare du lecteur, touché par cette page de vie qui s'achève. Comme dans la chanson La Mamma de Charles Aznavour, la peine se fait presque légère, tant elle s'imprègne de souvenirs doux-amers et se parsème de fulgurances d'amour et de bonheur.


Sans être autobiographique, le récit fait vraisemblablement écho à l'expérience personnelle de l'auteur et brasse de nombreux thèmes : les humiliantes difficultés de l'immigration et du métissage culturel et social, la cruelle et ingrate tendance des enfants à trouver naturel le sacrifice des parents pour leur propre avenir, leur mélange de honte et de culpabilité lorsque, transfuges de classe sociale, ils se retrouvent tiraillés entre deux mondes, et bien sûr, l'accompagnement d'un proche vieillissant devenu dépendant et la prise de conscience parfois tardive de l'importance de l'amour qui nous lie à lui.


L'on quitte avec regret ce très court premier roman d'un auteur déjà connu pour ses essais, et qui, avec justesse et simplicité, nous livre ici une touchante histoire d'amour maternel et filial, dans toutes ses nuances et ses ambivalences.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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"Je ne sais pas si ma mère a été une bonne mère. Ou simplement une mère qui a fait ce qu'elle a pu. Avec ce que Dieu lui a donné comme connaissance, comme amour, comme courage. Comme patience aussi. Je sais juste que c'est la mienne. Et ma plus grande richesse en cette vie est d'avoir pu l'aimer."

***

Le narrateur, professeur de lettres âgé de cinquante quatre ans, partage ses journées entre cours à l'université et présence dévouée  auprès d'une mère mourante. 

Renonçant à tout projet de couple, il est revenu vivre dans le petit deux pièces schaerbeekois qui l'a vu grandir. 

Cadet d'une fratrie de cinq enfants, il est le seul à pouvoir veiller sur elle et l'accompagner dans cette fin de vie. 

À son chevet, "La peau de chagrin" d'Honoré de  Balzac entre les mains, il la regarde dormir. Quand elle se réveillera, le fils reprendra sa lecture comme à l'accoutumée. Ce précieux rituel constitue leur unique et dernier espace de partage.

En attendant,  il revisite le passé familial et se livre à quelques confidences sur cette femme illettrée d'origine marocaine qui est arrivée en Belgique dans les années cinquante accompagnée de son mari. 

*

A la fois tendre, pudique, non dénué d'humour et terriblement émouvant, ce roman  nous plonge au coeur d'une relation filiale dont le temps est désormais compté.

Construisant son récit autour de souvenirs de jeunesse, Rachid Benzine esquisse par touches délicates le portrait d'une femme admirable ayant toujours eu pour principale ligne de conduite le don de soi. 

Suite au décès accidentel de son époux, elle a dû en effet assumer seule la fonction parentale et a relevé valeureusement tous les défis du quotidien pour offrir à ses fils une vie décente dans un pays autrefois hostile aux étrangers. 

Au travers de ses personnages, l'auteur met en lumière les difficultés inhérentes à la condition d'illettré, d'expatrié, de transfuge de classe mais aussi d'aidant familial. Il raconte la honte sociale,  les humiliations, la culpabilité ainsi que le fossé générationnel parfois abyssal qui se creuse au sein des  familles d'immigrés. Il nous rappelle également à la finitude de l'existence, aux adieux  déchirants auxquels chacun a dû et/ou devra faire face. 

Si le récit n'est pas autobiographique, il apparaît toutefois teinté de l'expérience personnelle de Rachid Benzine qui nous donne à découvrir ici un témoignage d'amour et de reconnaissance des plus touchants. 

Au fil des pages, on sourit, on fredonne les chansons intemporelles de Charles Aznavour et de Sacha Distel, on s'émeut, on s'indigne, on cache nos larmes. Puis on referme l'ouvrage heureux d'avoir partagé ces moments d'intimité et porté par l'envie de serrer fort contre soi ses propres parents. 

***

"Peut-on survivre à celle qui vous a donné la vie, qui vous a offert SA vie, veillant jusqu'au vieil âge sur votre bien-être,  votre bonheur,  soucieuse de votre santé et de vos ennuis? Sur quels genoux poserai-je ma tête embrumée? Quelles mains tiendrai-je pour me réconforter ? Quels yeux pourront irradier l'amour que seule une mère sait donner?" 

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Grâce et émotion.... pour un très bref texte qui exprime la quintessence de l'amour maternel et filial....mais aussi un malaise, une culpabilité d'un fils qui , en dépit de ses intenses attachement et reconnaissance filiaux... reconnaît avoir mésestimé et parfois méprisé ses parents, émigrés marocains dans les années 50...Parents.analphabètes... mais dont la maman, veuve trop jeune va , coûte que coûte, élever ses 5 garçons ... Mère Courage à qui l'écrivain, le cadet , rend un vibrant hommage et reconnaît sa propre suffisance
d' "intellectuel sorti du rang"... Je me permets de transcrire l'extrait choisi pour le quatrième de couverture...qui synthétise au mieux ce récit très intime, chargé d'une intense émotion...

« Vous vous demandez sans doute ce que je fais dans la chambre de ma mère. Moi, le professeur de lettres de l'Université catholique de Louvain. Qui n'a jamais trouvé à se marier. Attendant, un livre à la main, le réveil possible de sa génitrice. Une maman fatiguée, lassée, ravinée par la vie et ses aléas. La Peau de chagrin, De Balzac, c'est le titre de cet ouvrage. Une édition ancienne, usée jusqu'à en effacer l'encre par endroits. Ma mère ne sait pas lire. Elle aurait pu porter son intérêt sur des centaines de milliers d'autres ouvrages. Alors pourquoi celui-là ? Je ne sais pas.
Je n'ai jamais su. Elle ne le sait pas elle-même. Mais c'est bien celui-ci dont elle me demande la lecture à chaque moment de la journée où elle se sent disponible, où elle a besoin d'être apaisée, où elle a envie tout simplement de profiter un peu de la vie. Et de son fils. »

Il est question d'Amour d'un fils à sa mère, c'est le noyau dur, central, mais il est aussi narré la douleur de l'exil, de l'exclusion, de l'injustice sociale... où les enfants de parents émigrés , pauvres, sans les bases de l'instruction, lorsqu'ils réussissent, sont écartelés entre la fierté, et la culpabilité d'avoir trahi leur milieu...

"La culture scolaire exclut autant qu'elle intègre et les parents étrangers en sont les premières victimes."

Mais ce que je retiens avant tout c'est la lumière absolue de l'amour de ce dernier fils, resté célibataire, pris par son métier d'enseignant mais aussi pour assumer la présence et l'accompagnement de sa maman vieillissante et affaiblie à qui il doit tant et tant... !

"Au bout du compte, c'est bien la confiance naïve que ma mère me témoignait qui m'a poussé à devenir meilleur. Pour en être digne. Face à une telle sincérité et à une telle innocence, on ne peut ni mentir ni tricher. Je lui dois cette leçon." (p. 46)

.... et pour achever d'exprimer mon émotion totale vis à vis de ce texte... je trouve "fantastique" cet immense "pied de nez" qui nous offre une sacrée leçon.... comme quoi l'amour des mots, des histoires se passent des classements sociaux et de leur iniquité... C'est merveilleux que le fils-écrivain ne comprenne pas que sa mère, illettrée, adore ce roman De Balzac, "La Peau de chagrin"... L'essentiel absolu... au final est que la complicité, l'amour du fils et de la mère se retrouvent autour de cette oeuvre littéraire....que l'émotion et l'intellect ne fassent plus qu'un, spontanément, sans rime ni raison !!...
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critiques presse (4)
LeMonde
21 février 2020
Dès l’ouverture, le ton choisi par l’enseignant et islamologue, auteur de plusieurs essais, séduit par sa pudeur et sa justesse. En quelques lignes, il distille ce troublant enchevêtrement de gêne, de tristesse, d’amour et de bonheur que l’on peut ressentir en accompagnant un parent dans ses vieux jours.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeSoir
06 février 2020
Pour mieux toucher la réalité et déclarer l’amour d’un fils à sa mère, Rachid Benzine utilise la fiction [...] Ce livre est léger par le nombre de pages, 96, mais impressionnant par les sentiments qu’il fait bouillonner dans les esprits.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Actualitte
03 février 2020
C’est un hymne à la mère d’un fils aimant, d’un amour inconditionnel pour une femme veuve : il raconte sa mère qui s’éteint sous son regard, en compagnie des mots de Balzac qu’elle affectionne tant. Une mère émouvante, drôle, opiniâtre et quelques fois capable de saillies poétiques.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaLibreBelgique
16 janvier 2020
Un petit livre, sur un sujet certes rebattu, un récit humble, mais réussi car l’auteur des magnifiques Lettres à Nour trouve un ton émouvant et drôle.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (68) Voir plus Ajouter une citation
Vous vous demandez sans doute ce que je fais dans la chambre de ma mère. Moi, le professeur de lettres de l'Université catholique de Louvain. Qui n'a jamais trouvé à se marier. Attendant, un livre à la main, le réveil possible de sa génitrice. Une maman fatiguée, lassée, ravinée par la vie et ses aléas. La peau de chagrin, de Balzac, c'est le titre de cet ouvrage. Une édition ancienne, usée jusqu'à en effacer l'encre par endroits. Ma mère ne sait pas lire. Elle aurait pu porter son intérêt sur des centaines de milliers d'autres ouvrages. Alors pourquoi celui-ci? Je ne sais pas. Je n'ai jamais su. Elle ne le sait pas elle-même. Mais c'est bien celui-ci dont elle me demande la lecture à chaque moment de la journée où elle se sent disponible, où elle a besoin d'être apaisée, où elle a envie tout simplement de profiter un peu de la vie. Et de son fils.
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Bref, dès mon plus jeune âge, j'ai dévoré les bouquins comme d'autres les pâtes. Pour donner une réalité à des désirs enivrants. La quête d'une autre vie, en somme. Qui m'a toujours différencié de mes frères, tous happés très tôt par la nécessité de contribuer à la survie de la famille. Mon père est en effet mort quelques jours avant mes sept ans, écrasé par une palette de livres. Un destin qui ne m'a pas fâché avec la lecture. Juste avec les palettes. Et encore.
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Elle n’avait jamais vraiment compris le français. Le simple fait qu’on lui adressait la parole était pour elle un honneur. Elle baissait toujours la tête avec respect. Réfugiée dans une parenthèse enchantée, elle oubliait tout ce qui avait façonné ses souffrances de petite immigrée mal dégourdie et de veuve élevant seule ses cinq enfants. Par sa parole, par sa présence, elle renvoyait ses fils à leurs origines marocaines. Aujourd’hui, elle a quatre-vingt-treize ans et elle vit encore à Schaerbeek avec le célibataire de la fratrie: un professeur de lettres qui lui fait sa toilette et lui lit "La peau de chagrin de Balzac". Cette mère qui ne sait ni écrire ni lire, a survécu à toutes ses morts hypocondriaques, a aimé ses enfants et ses patronnes, s’est produite sur la plus grande scène du monde: sa cuisine. Le malentendu est aussi vieux que le monde. Est-ce qu'une femme analphabète, seule, innocente, naïve, indulgente, « faite pour servir les siens » est une mère adorée pour ses faiblesses ou sa force?
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INCIPIT
Vous vous demandez sans doute ce que je fais dans la chambre de ma mère. Moi, le professeur de lettres de l’Université catholique de Louvain. Qui n’a jamais trouvé à se marier. Attendant, un livre à la main, le réveil possible de sa génitrice. Une maman fatiguée, lassée, ravinée par la vie et ses aléas. La Peau de chagrin, de Balzac, c’est le titre de cet ouvrage. Une édition ancienne, usée jusqu’à en effacer l’encre par endroits. Ma mère ne sait pas lire. Elle aurait pu porter son intérêt sur des centaines de milliers d’autres ouvrages. Alors pourquoi celui-là ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais su. Elle ne le sait pas elle-même. Mais c’est bien celui-ci dont elle me demande la lecture à chaque moment de la journée où elle se sent disponible, où elle a besoin d’être apaisée, où elle a envie tout simplement de profiter un peu de la vie. Et de son fils.
Une lecture qui lui est aussi devenue indispensable le soir, avant de s’endormir. Elle se cale en chien de fusil contre son oreiller, ferme les yeux. Comme un enfant qui sait, pour l’avoir entendu des dizaines de fois, qu’un conte va l’émerveiller ou l’épouvanter. La Peau de chagrin, j’ai dû le lui lire moi-même déjà deux cents fois. Elle l’a découvert sur une cassette audio que j’avais empruntée à la bibliothèque il y a bien vingt-cinq ans. Je me suis attaché à une époque à lui faire découvrir des trésors de la littérature par ce biais. Des cassettes ordinairement destinées aux aveugles et aux malvoyants. Parmi les dizaines écoutées, celle-ci a eu, de loin, sa préférence. Tout de suite. À peine rendue à la bibliothèque, elle m’a demandé de la lui acheter. Puis de le lui lire régulièrement. Pour soulager un peu mon temps et inquiet de sa fascination pour cette seule œuvre, je lui ai trouvé d’autres supports. J’ai d’abord acheté des cassettes vidéo puis des DVD des versions de l’ouvrage en drame lyrique, en opéra, en ballet, en adaptations diverses et variées au cinéma et à la télévision. Mais rien n’a trouvé suffisamment grâce à ses yeux pour qu’elle puisse se passer de ma lecture.
En mon absence, ma mère revenait inlassablement à la cassette audio dont j’avais déjà racheté plusieurs exemplaires, tant elles s’usaient rapidement par l’écoute systématique – j’en avais fait faire des copies mais elles se révélaient trop rapidement inaudibles. Et puis, un jour, je n’en ai plus retrouvé. On avait cessé d’en vendre. J’ai fait les brocantes dans l’espoir d’en voir ressurgir une. Sans succès. J’ai même menti à la bibliothèque, leur faisant croire que j’avais perdu leur exemplaire. Mais cette cassette-là aussi a fini par rendre l’âme à son tour. Alors je me suis astreint pour elle à cette lecture quotidienne. J’ai bien essayé d’enregistrer moi-même le texte, mais j’ai vite compris que ma mère n’y trouvait pas son compte. J’ai payé un comédien pour l’enregistrer dans un studio numérique. La manipulation informatique étant totalement étrangère à ma mère, je l’ai fait transférer sur une cassette audio. Cette version n’a pas davantage eu sa bénédiction. Elle ne supportait que la cassette qui lui avait fait découvrir le livre ou ma lecture de vive voix.
Et puis ma mère a soudain vieilli plus vite. Oubliant un jour le gaz allumé. Une autre fois se laissant vendre trois aspirateurs aux pouvoirs miraculeux dans la même semaine. D’autres fois encore chutant lourdement au sol sans arriver à se relever. Seul célibataire de la fratrie, il y a quinze ans j’ai tracé une croix définitive sur tout projet de vie de couple et j’ai emménagé chez ma mère, dans le petit deux pièces de Schaerbeek où j’ai vu le jour il y a cinquante-quatre ans. Mes quatre frères, bien plus âgés, s’étaient depuis longtemps installés dans d’autres régions. Ils ont tous une vie de famille et des petits-enfants. J’habite donc avec elle depuis qu’elle a soixante-dix-huit ans et qu’elle ne peut plus vivre seule.
Depuis quinze ans, je la soigne, je la change, je la lave, je l’habille. J’assure, plusieurs fois par jour, sa « toilette intime ». Une expression bien neutre pour qualifier un acte que je n’aurais jamais imaginé faire lorsque, il y a cinquante-quatre ans, ma tête hurlante et sanguinolente débouchait de cette même « intimité » pour son premier contact avec l’air libre.
Dans ces moments-là, ma mère prend ma main. Elle sourit tristement. Nous sommes tous les deux gênés et en même temps heureux. Curieux sentiment. En dehors des personnels soignants qui se succèdent à son chevet durant la semaine, je suis le seul dont elle accepte cette toilette, sans doute humiliante mais dont elle sait la nécessité.
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Ma mère n'a jamais vraiment compris le français. Alors quand un médecin, ou un employé de la mairie, ou de la sécurité sociale, ou un professeur d'école, lui posait une question, elle a toujours répondu invariablement "oui", sans se soucier davantage des effets de ses réponses. Cela nous a valu des ennuis avec la terre entière : la police, les impôts, les services sociaux, la banque, les hôpitaux et toutes les administrations.
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