Aujourd'hui, j'aurais dû vous raconter ma première rencontre littéraire mais non pas en tant que spectatrice mais animatrice. La situation sanitaire en a décidé autrement et faisant fi des regrets de cette rencontre manquée, j'ai décidé de vous parler sur mon blog du roman de Rachid Benzine
Dans les yeux du ciel paru lors de la rentrée littéraire de septembre 2020.
Dans les yeux du ciel par Benzine
Je n'ai pas lu les autres écrits de cet auteur et je me jette donc sans le moindre a priori dans cette lecture afin de préparer la rencontre. Carnet et crayon sont à côté de moi – j'ai toujours eu un côté élève sérieuse, et souffrant du syndrome de l'imposteur, j'avais à coeur de bien préparer cette rencontre, j'ouvre le livre et me voilà projetée vers un ailleurs qui n'a pas de nom, vers l'ici de Nour, au coeur d'un pays qui vit les débuts du printemps arabe, d'une révolution qui germe dans ce pays de faux-semblants et d'hypocrisie.
En faisant de Nour son héroïne de son roman, Rachid Benzine choisit un prisme qui pourrait paraître déroutant mais la révolution, la colère ne peut venir que des opprimés, que des exclus et des marginaux. Nour est une exclue, de mère en fille. Fille de prostituée, elle l'est devenue à l'âge de 12 ans et sous le nom de Malika, elle reçoit dans son studio, loin de son appartement et de la vie qu'elle mène avec sa fille, des hommes, emplis de violence, de contradictions, de paradoxes, de mensonges et d'hypocrisie, ceux qui affichent une morale sans faille et qui se paient les services d'une prostituée, ceux qui préfèrent les hommes et que l'on rééduque dans les bras de Nour, ceux qui prennent le corps d'une femme pour un défouloir.
« EN PRÈS DE TRENTE ANS D'EXERCICE, J'AI ÉTÉ LE RÉCEPTACLE DE TOUTES LES FRUSTRATIONS DU MONDE ARABE »
Nour, c'est le corps et l'âme de ce pays qui ne dit pas son nom, c'est le corps colonisé par les hommes comme l'a été son pays, Nour, c'est aussi la lutte pour que sa fille, Selma, échappe à la terrible destinée qui s'est abattue sur elle. Nour, c'est la lumière.
A travers elle et Slimane, son ami, son confident, sa quasi âme soeur, poète et homosexuel, nous vivons les trois temps du printemps arabe, de sa montée en tension à sa réalisation dans la liesse et l'espoir qui ne laisseront la place qu'à la désillusion, aux « lendemains qui déchantent » et au retour à l'ancien ordre – en pire.
C'est aussi le roman miroir d'une société où le patriarcat règne en maître, où la femme n'est rien, si ce n'est un corps soumis aux désirs des hommes. En creux, pourtant Rachid Benzine délivre un message d'espoir pour ces femmes méprisées, oubliées, insultées et violentées. A travers Nour, sa force, son courage, son désir de protéger sa fille, il livre un vibrant hommage à l'éducation et à la lecture :
« ET CETTE INTUITION VENUE DE JE NE SAIS OÙ, QUE L'ÉDUCATION LIBÈRERAIT LES FEMMES UN JOUR »
« J'AI RECOURS À TROIS PURGATIONS : LES CONSEILS DE BEAUTÉ DES CHAÎNES ARABES POUR ME VIDER LA TÊTE, LA PRIÈRE POUR ME PURGER L'ÂME; LA LECTURE POUR NE PAS CREVER »
Plus qu'un roman sur le printemps arabe,
Dans les yeux du ciel est une réflexion juste et percutante sur les sociétés arabes, leurs paradoxes, leurs désirs mais aussi leur réalité faite de violence et de poésie.
Construit comme une pièce de théâtre, comme une tragédie plus exactement, ce roman nous emporte par son écriture rythmée, percutante, jusqu'au cri de Nour, ce cri tragique qui émerge du chaos.
En résumé : j'aurais aimé échanger avec Rachid Benzine sur son roman, sur Nour et Slimane, mais faute d'avoir pu réaliser cette rencontre, j'espère que cet article vous donnera envie d'acheter, de lire et d'offrir
Dans les yeux du ciel.