Le marié a longtemps attendu ce jour mais s’en rend malade depuis deux mois. Il faisait 5° à Pétersbourg, sa femme est sortie tête nue. Maintenant qu’il fait 25… Bref. Il a fait tout ce qu’il a pu pour rassembler des voitures qui brillent ce matin. Des Mercedes à vitres fumées. Le témoin avait bu l’argent du cortège, il n’a pas pu éviter une Lada et deux Moskvitchi. Son frère est même venu avec une Jigouli. On ne peut la freiner qu’en posant le pied au sol par la portière ouverte. Vaut mieux des semelles de crêpe. (Malvina Majoux, « Le Terrier orthodoxe »)
La sensation de malaise est apparue progressivement. Un soir, assis sur le carrelage, j’ai regardé l’ensemble sans réussir à mettre le doigt sur ce qui me gênait. J’ai renouvelé l’expérience tous les soirs pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que la solution s’impose : les meubles. Le problème vient des meubles.
Il y a certes une table, deux chaises et une petite armoire, mais c’est bien peu. J’ai toujours eu de la réticence pour les intérieurs surchargés en bibelots et mobilier inutiles. Cela m’angoisse, m’oppresse et me donne une envie irrépressible de sortir pour respirer une bonne bouffée d’oxygène. Mais j’ai peut-être poussé le raisonnement un peu trop loin. Ce qui me gêne dans cette maison, c’est qu’on ne s’y sent pas à l’ « intérieur » , justement : un beau carré aux belles proportions, mais un carré vide. Bien sûr, le matin, il y a ma tasse de café pleine, au milieu. Cela donne un petit côté art contemporain à l’ensemble : « rond noir sur fond blanc ». Mais s’il y a des œuvres qui lassent, celle-ci en fait partie. (Gilles Marchand, « Une odeur de soupe »)
Les hameaux de l’est polonais n’en finissent pas de s’étirer le long des routes. Ils sont une rue. Une rue unique et jalonnée d’habitations toutes de bois.
Aucune ruelle transversale, aucun détour possible, aucun crochet autorisé, même par simple curiosité, vers une petite place qui serait centrale et où grincerait au vent la modeste enseigne d’un commerce de proximité. Non. On ne peut ici que filer tout droit. Car derrière les maisons, il n’y a plus de village. La morne étendue des prairies que clôture généralement la forêt de bouleau et de pins, s’y déroule, aplatie sous le souffle des steppes lointaines de Russie.
On arpente le hameau qui n’en finit pas et les maisons de bois, avec les cours de ferme disposées bien en carré, sont si espacées, séparées parfois les unes des autres par une jachère ou un lambeau de forêt, qu’on croit en avoir terminé de sa traversée quand d’autres habitations surgissent encore, vertes, rouges, grenat, orange, comme des étincelles de couleur joyeuse, comme des pieds de nez au vague à l’âme des alignements. (Bertrand Redonnet, « Souricière »)