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Critique de Sachenka


Au commencement était la mer s'ouvre sur une adolescente, sur une jeune femme qui sort de sa chambre, qui sort à l'extérieur tôt le matin pour retrouver la plage et sentir le sable chaud sous ses pieds. Elle goûte à la liberté. « Elle a dix-huit ans, Nadia, et elle veut vivre. Vivre ses dix-huit ans brodés d'impatience, de désirs imprécis et fugitifs. » (p. 17). Au retour, elle tombe sur Djamel, « cette ombre furtive qui traverse leurs vies en silence… » (p. 15). Ce grand frère, de plus en plus intransigeant, de plus en plus radicalisé, qui se met à régenter leur existence depuis la mort de leur père. En Algérie, une femme ne devrait pas se promener seule impunément, c'est interdit. Donc, Nadia, prise en flagrant délit de liberté, est enfermée. Dorénavant, elle ne se risque à sortir qu'en compagnie de sa soeur et de son frère cadet Salim.

Pourtant, elles s'annonçaient agréables ces vacances chez l'oncle, près de la mer, loin de leur immeuble de béton en périphérie d'Alger, ce « bloc d'ennui et de chaleur tout ensemble » (p. 19) où elle a l'impression d'être prisonnière. Surtout avec ces chars et ces militaires qui déchirent son pays…. C'est pourquoi, quand Karim se pointe… Nadia se laisse aller à espérer. Il s'agit du cousin d'une amie de sa soeur, un jeune homme respectable. Un jeune homme amoureux? Ça semble trop beau pour être vrai.

J'aime bien quand la petite histoire (un destin individuel) rencontre la grande Histoire. Un roman d'amour avec, en toile de fond, des moments sombres : la montée de l'islamisme et de la radicalisation, la guerre civile algérienne des années 1990. « Dans la ville, plus personne ne rêve. Il n'est que de voir les visages défaits, les regards éteints de la foule pressée, assaillie de rumeurs funestes. » (p. 135)

Cet islam radical qui prétend vouloir ramener la société à sa pureté religieuse originelle (si un tel concept a réellement existé), il se fait en apposant des oeillères aux jeunes hommes et en réduisant toujours davantage les droits. Il se fait surtout au détriment des jeunes femmes réduites à des rôles d'épouses ou de futures épouses et accompagné de violences. Et tout cela pour quoi?

« Des hommes, rien que des hommes. Partout. Debout. Appuyés contre les rambardes de fer au bord des trottoirs. Assis au seuil des boutiques innombrables ou sur les chaises encombrant les trottoirs devant les cafés obscurs. Installés dans la tranquille réalité d'un espace qui leur appartient de toute évidence. La grand-rue. La route principale. Ils regardent passer les voitures comme d'autres regardent passer des trains. Avec la même vacuité dans les yeux. Désoeuvrés. Disponibles. Terriblement. Prêts à écouter ceux qui, du haut de leur chaire, s'arrogent le droit de leur promettre le paradis. À les écouter et à les suivre. Aveuglément. » (p. 161)

Et que dire de la plume de Maïssa Bey? Tout au long de ma lecture, je ne lui trouvais rien d'extraordinaire. Toutefois, plus j'avançais, plus je me laissais prendre à son écriture. Ses mots visaient toujours juste et cela malgré leur économie. En effet, en très peu de mots (le roman dépasse à peine 150 pages), l'auteure a réussi à décrire, à évoquer la vie dans cette Alger meurtrie. Tout y passe : l'évolution des mentalités, la manière insidieuse avec laquelle elles se propagent, leurs conséquences, etc. Même si l'on n'est pas d'accord avec les choix de chacun (ici, je pense à Djamel et Karim), on comprend pourquoi ils agissent comme ils le font. Surtout, j'y ai cru, à Nadia, cette adolescente, cette jeune femme éprise de liberté mais prisonnière des hommes et de leur doctrine. Alors qu'elle était en droit de tout attendre de la vie, elle se retrouve trahie et abandonnée. Les émotions étaient au rendez-vous. Bravo!
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