Citations sur L'Éte Contraire (16)
Et puis, tout le reste, les lanternes, la fête qui continue dans la cave cathédrale, c'est pour la survie, l'esbroufe, cette improbable légèreté sans quoi chacun, ici,comme ailleurs ne croirait plus à l'avenir. On a cessé de s'interroger.
Bon an mal an, cet été-là, au début tout au moins, la majorité de nos concitoyens acceptent de bonne grâce d’aller s’occuper de leurs vieillards, de leurs enfants et de leurs malades. La température augmente. Le climat n’en fait qu’à sa tête mais chacun garde son sang-froid. Comme le répètent en boucle les autorités, il convient de faire preuve en toutes circonstances de lucidité, de méthode et de sens civique.
« Clovis s'occupe du pare-brise, Douss change la roue. Gigi, de nouveau guillerette, sort le réchaud à gaz et envoie Clémence chercher de l'eau au fond du vallon. L'infirmière elle aussi a l'impression que quelque chose d'essentiel est sur le point de se jouer sur cette route de montagne, quelque chose d'impossible à évaluer, qui va les modifier en profondeur. Ils prennent la route. Ils s'en vont tous les quatre, peut-être tous les six, chacun continuant à gambader dans ses propres rêves. Jusqu'où iront-ils ? À qui et à quoi tournent-ils le dos ? Sont-ils en train d'imaginer un monde nouveau ? »
Avec les vieux on doit se contenter du minimum vital : nourriture, soin, abri, parfois même parcage, célébration de temps en temps et, pour tout le monde, au bout du compte, elle comprise, ce dilemme final dont on mesure mal les conséquences, ce même choix entre léthargie, renoncement et cri…
Chacun son tour, chacun à son rythme puisque la vie s’achève à l’endroit où les eaux se rassemblent, où le temps roule ses galets, charrie ses limons.
« Elle regarde le canal de Bourgogne qui ondule sans fin dans la campagne, zigzaguant entre les haies de peupliers centenaires. Le soleil monte à l'horizon, plus éblouissant que jamais et Gigi dort comme un bébé. Les autres attendent. Leurs visages sont beaux, ridés, altérés par l'âge ou bien lisse et noir comme de l'ébène. Le mélange est magnifique. C'est peut-être cela, la véritable alliance, un rassemblement de visages qui finissent par n'en faire plus qu'un, unifiant tous les autres, composant quelque chose d'époustouflant, de lumineux et d'éphémère adressé aux seuls rêveurs, aux insouciants. Clémence se prend le visage entre les mains. L'insouciance est le bonheur des pauvres, des hors-la-loi. »
On est face à la prise de conscience d’une population qu’on disait atone et affligée. Les acteurs de la société civile se mobilisent, les politiques se réveillent. Ceux qui profitaient sans complexe de la situation, pris la main dans le sac, n’en finissent pas de bafouiller leurs excuses alambiquées. On commence à regarder les jeunes des banlieues et les étudiants de façon différente, des utopistes, des rêveurs impulsifs mais sincères.
C’est comme une goutte d’eau dans la mer mais peu importe, le projet est revigorant, presque drôle, et à présent ils n’ont plus peur de rien. Ils s’amusent, soulagent à la demande, distraient, rafraîchissent du mieux qu’ils peuvent. La canicule ne faiblit pas et le caisson frigorifique du Jumper devient un havre de fraîcheur qu’ils ouvrent de plus en plus souvent. Ceux qu’ils parviennent à distraire, à réhydrater, à soulager, ceux-là retrouvent un peu de joie, de goût de vivre.
Les mystères du sexe et de l’amour sont autrement plus importants que ce qui se rapporte au boire, au manger ou à la météo.
Le temps, c’est comme une fleur… Ça éclôt, ça monte au ciel en gonflant les joues, ça se fane en penchant la tête de côté et, réduit à rien, ça répand ses graines et sa postérité d’une terre à l’autre.