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Critique de Wolkaiw


Là où les tigres sont chez eux peut être qualifié de pavé, de beau pavé je dirais même. Près de 900 pages très enrichissantes qui nous proposent des réflexions et nous font prendre conscience de la réalité qui nous entoure, des personnages haut en couleur et une fin qui me laisse perplexe malgré le recul pris pour écrire cette chronique. Ce livre réserve son lot de surprise.

Les chapitres sont relativement nombreux et de bonne taille ; entre 20 et 30 pages en moyenne, ce qui facilite et rythme la lecture mais permet également de faire des pauses. Chaque chapitre est introduit par des extraits de la biographie de Kircher, éminent savant du XVII, racontés par Caspar Schott. La vie d'Athanase Kircher est palpitante, l'auteur n'a de cesse de nous le présenter sous un jour différent, variant ainsi les plaisirs de la lecture. Nous admirions Kircher, nous le détestons, nous doutons de la paternité qu'il s'octroie parfois, nous sommes avides d'en apprendre davantage sur lui.

Kircher est loin d'être le seul personnage de ce récit, sinon quoi je pense que ma lecture aurait été un peu ennuyeuse. J'ai donc pris plaisir à suivre le parcours des autres personnages, à notre époque, chacun évoluant dans un lieu différent. Tous les changements de personnages et de lieux sont indiqués, le lecteur angoissé n'a pas à s'inquiéter : il ne peut se perdre. Les liens qui unissaient les multiples protagonistes n'étaient pas toujours identifiables de prime abord, ce fut donc une sorte de jeu que de mettre le doigt dessus, puzzle géant dans lequel les pièces ne coïncidaient pas forcément avec l'estampe à reproduire.

Eléazard, Elaine, Moéma, Nelson, Mauro, Loredana, Soledade, Kircher et bien d'autres sont autant de personnages emblématiques du livre, chacun jouant son rôle avec plus ou moins d'efficacité. Indépendamment des autres, la vie de chacun d'entre eux est très riche, elle nous ouvre les yeux sur un pan de la société, sur les contrastes saisissants qui fissurent le Brésil de part en part. Mises bout à bout, toutes ces existences façonnent une gigantesque toile qui semble représenter une certaine réalité, celle d'un monde dans lequel nous déambulons, aveuglés par des sentiments néfastes, à la recherche de la sérénité. À ce titre, un passage m'a particulièrement marqué ; Roetgen ( le professeur de Moéma ) et les pêcheurs d'un petit village à la marge. Roetgen constate avec effroi que la vie que nous menons n'est que faste et poussière, existences décousues dont nous ne sommes même plus les véritables maîtres, dont les rênes nous ont depuis longtemps glissées entre les mains.

L'auteur nous offre donc un large éventail de personnage, des sauts dans le passé avec Kircher et un retour à la réalité avec les autres. Chaque point de vue nous apporte quelques choses, réflexion et prise de conscience, découvertes et révélations, je ne me suis pas ennuyée même si l'action n'est pas vraiment présente. Je dirai qu'il s'agit d'une histoire progressive dans laquelle chaque engrenage avance doucement, laissant aux autres le temps de s'installer afin que la machine fonctionne correctement. Il me semble nécessaire de prendre son temps pour savourer cette oeuvre, pour tenter de comprendre les mécanismes du récit.

Certaines situations peuvent vous sembler communes voire stéréotypées, je vous l'accorde, elles n'en demeurent pas moins cohérentes et vivantes. Moéma a beau représenter l'image somme toute banale et caricaturale de la fille homosexuelle qui fume, qui boit, qui baise à droite à gauche, son personnage nous offre bien plus que cela, il nous livre la pensée d'une jeune femme qui vit en marge de la société, qui s'éveille et ouvre progressivement les yeux sur un autre moyen de vivre et de profiter, une prise de conscience progressive qui la rend presque attachante.

Une série de coïncidentes et d'imprévues vont contraindre les personnages à changer de parcours et/ou d'orientation, c'est dans un sens ce qui fait le charme de ce récit : son caractère imprévisible et la richesse de ses explications. On se demande quels enseignements doit-on retenir de tout cela. Morale et valeurs se fraient un chemin dans l'aveuglément dont sont victimes certaines personnes. Il n'est jamais trop tard pour ouvrir les yeux et son esprit. Il y a énormément de chose à dire sur un livre de cette envergure, pas seulement parce que ce livre est un pavé mais parce qu'il recèle de nombreux passages éclairants.

La lecture est addictive, je n'ai pas vu les 900 pages défiler même si j'avoue avoir mis du temps à lire ce livre. le style très vraiment très prenant. Tout au long de la lecture j'ai eu l'impression de cotoyer quelque chose d'indéfinissable, une impression qui tantôt se fracassait, tantôt se renforçait. Je pense que la lecture des Carnets d'Eléazard n'est pas étrangère à ce phénomène, j'ai trouvé ces carnets particulièrement intéressants voire croustillants – sorte de réflexion sur tout et n'importe quoi, moyen de laisser s'exprimer une facette de notre personnalité. le personnage d'Eléazard se permet de passer quelques coups de gueule qui m'ont bien fait rire, j'ai vraiment adoré cet homme.

Je n'aurai qu'un seul gros bémol pour ce livre, il s'agit de sa fin beaucoup trop ouverte pour moi. Tout au long de la lecture l'auteur nous propose un livre riche et complet, la fin est presque brutale, trop nette pour coller avec l'ambiance du livre, en ce sens je pense qu'un petit épilogue aurait permis aux lecteurs de ressortir de la lecture avec l'esprit un peu moins confus. Je me pose encore des questions avec cette fin, sans doute est-ce le but recherché mais je ne comprends pas la démarche. 900 pages très complètes pour une fin trop rapide et soudaine.

Je tiens toutefois à soulever ce qui me semble être un gros point positif, il s'agit des nombreuses annotations d'Eléazard sur la biographie de Kircher, annotations que vous retrouvez à la fin du livre. Elles ne sont pas indispensables pour comprendre le récit mais cela le rendra plus riche. Je n'ai pas toujours lu ces notes afin de ne pas casser mon rythme de lecture. La fin du livre est également doté d'un glossaire qui répertorie l'ensemble des termes brésiliens utilisés par l'auteur. Vous trouverez aussi une table des matières.

Je pourrai vous parler encore et encore de ce livre, aborder avec vous les autres personnages mais la chronique perdrait sans doute en intensité et votre attention diminuerait. Là où les tigres sont chez eux est un roman-fleuve, un roman-monde, un roman-monstre ( Prix médicis ), un roman-jungle ( Valérie Marin La Meslée ). Ce livre nous offre une plongée au coeur d'une réalité inaccessible, une jungle de sensations. J'ai apprécié ma lecture mais je déplore une fin trop brutale qui rompt avec l'harmonie qui s'était installée.
Lien : https://wolkaiw.blogspot.fr/..
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