Citations sur Blatas : portraits de Montparnasse (14)
De tous les artistes qui ont peint le Paris que j'adorais, aucun ne m'évouvait plus que Maurice Utrillo. Son trait était direct, et ne limitait pourtant jamais à la simple retranscription des formes et des dimensions. Totalement fidèle d'une certaine manière, il communiquait au spectateur l'affection que seul un ingénu romantique pouvait éprouver pour ses sujets d'inspiration. Je nourrissais une sorte d'engouement pour la manière dont Utrillo rendait les marches que je grimpais et les murs que j'aimais toucher. (p. 122)
(souvenirs Picasso)
Mais la principale préoccupation de Picasso restait les toréadors. L'un d'eux avait récemment fêté son quarantième anniversaire, et approchait de la limite pour l'exercice de sa profession. Comme nous en parlions, je vis le visage de Picasso s'allonger tandis que nous discutions de ce que Manuel, le vétéran, allait faire maintenant.
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Malgré cette conversation, le repas fut joyeux. Arrivés au dessert, un homme qui vendait des billets de loterie passa devant notre table. Picasso l'arrêta et lui acheta un billet pour le matador vieillissant... Mais au lieu de le le tendre à Manuel, il le mit dans sa poche, feignant de ne pas entendre une question sur la raison de ce curieux comportement. Plusieurs jours après le retour en Espagne du vétéran, Picasso l'informa par lettre que son billet était gagnant et son câble arriva accompagné d'un million de francs....
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Pour le village de Céret, son retour constituait un événement formidable. On avait mis les petits plats dans les grands pour le déjeuner sur la grand-place, auquel assistait tout le corps des fonctionnaires de la commune. Apercevant un long cheveu noir qui flottait dans la soupière, tous se raidirent.
"Tiens, fit Picasso pour détendre l'atmosphère, encore un dessin de Matisse !".
Je n’étais pas venu conquérir Paris, ni même y « faire un tabac », mais simplement y subsister pour pouvoir apprendre. Je me disais que je ne pourrais pas échouer, puisque mon but n’était pas de réussir mais d’étudier.
[ Chaïm Soutine ]
Dans un sens, sa réputation de maussaderie était méritée, confinant même à l'instabilité. Au fil des années, je compris que son enfance en était vraisemblablement la cause. "Je n'ai pas envie de parler de ma famille, me dit-il un jour. Je ne veux rien avoir avec eux, tout ça me fait horreur. Bien qu'il continuât à refuser, les dents serrées, de décrire ses premières années, j'appris qu'il était le dixième enfant d'un couple de juifs lituaniens de la petite ville de Smilovichi, où les conditions de vie dans le ghetto étaient si misérables et arriérées que ses habitants n'appartenaient pas réellement au monde occidental. Le père de Soutine, pitoyable tailleur et patriarche tyrannique, tenait la famille sous son joug.
Il était déterminé à faire de Soutine un cordonnier, le battant lorsqu'il achetait des crayons de couleur- ce que le garçon rebelle faisait en vendant les couteaux et les fourchettes volés à la cuisine.
Avec les crayons qu'il parvenait à dérober, il dessinait sur les murs de leur masure. Son très religieux père savait que que la représentation d'images était interdite, et considérait la passion de son fils comme sacrilège. L'adolescent était alors plus sévèrement frappé encore., et sa haine pour son foyer se prolongea bien après qu'il se soit enfui à Minsk, tout proche, à l'âge de onze ou douze ans. Tout en prenant des cours de dessin, il gagnait sa vie en retouchant des photographies. Sa haine semblait à peine atténuée lors de son arrivée à Paris en 1913, à dix-neuf ans. (p.48)
Il n’accordait jamais un regard aux jolies filles parmi la douzaine qui faisaient leur apparition. Il avait une connaissance des visages laids ou bizarres, et j’ai toujours vu Soutine ne choisir que celles qui avaient l’air le plus étrange, avec un strabisme dans les yeux ou des nez tordus, le genre de femmes qu’il aimait aussi à peindre. Ce qui allait de pair avec son physique à lui.
Le 24 décembre 1989 arrivait de New York par avion la belle donation Arbit Blatas au Musée Municipal de Boulogne-Billancourt. Belles étrennes que ces quarante et un portraits peints et sculptés par Blatas en hommage à ses amis artistes, parmi les plus célèbres de l'E’ole de Paris.
Ce Lituanien d’origine, citoyen de New-York, Venise et Paris, a eu la bonne idée de choisir notre ville pour nous séduire avec une œuvre figurative traditionnelle qui se rattache à ce courant expressionniste si poignant, apanage des pays d’Europe Centrale. Sa pâte dense, sa touche largement étalée, sa lumière captée par la mantière de l’huile et répercutée par les contre-jours en sont la marque.
Blatas a connu Lipchitz et Chagall qui furent nos concitoyens, Soutine, Krémège, Zadkine, Mané-Katz, Kisling, Van Dongen, mais aussi Derain, Vlaminck, Vuillard, Bonnard, Utrillo, Giacometti, Picasso et bien d’autres…
.. Arbit Blatas, malgré les vicissitudes de la vie, croit encore aux hommes, à la joie de vivre. Merci donc à ce peintre ! « à cet homme jeune et sans amertume dont le souriant optimisme » comme l’a si bien dit le critique Andry-Farcy en 1939, « est l’image la plus concrète de son art ».
(extrait préface)
De nombreux maîtres dont les œuvres ont suscité des sentiments très forts déçoivent lorsqu'on les rencontre, uniquement parce que leur talent engendre des espérances injustifiées en leurs qualités d'homme.
… je goûtais une conversation à une table particulièrement joyeuse, lorsqu’une étrange force faillit me faire tomber de ma chaise. Cela provenait de la porte. La source de cette force était un homme qui venait d’enter, apparemment déterminé à éviter qui que ce soit dans le café – et sur terre en général.
… Comment un œil pouvait-il avoir l’air si brutal, si violent, me demandais-je. Voûté dans son pardessus, comme la suspicion était le seul sentiment qu’il ait jamais ressentie, une sorte de passion émanait néanmoins de lui.
… jetant des regard obliques empreints d’une profonde méfiance, il essaya de passer rapidement devant notre table. Mais une chaise lui bloqua le passage.
…
« Arbit, je te présente Soutine ».
...
Je ressentis une décharge en lui serrant la main.
...la plupart des peintres luttaient, et avaient naturellement tendance à mal accepter le succès des autres.
Les peintres restaient assis pendant des heures devant leur café, certains ne sachant pas comment ils le paieraient.