Quel prodige que la vodka! Même si le thermomètre descend à moins cinquante, à moins soixante, elle ne gèle pas... Par grand froid, on la voit seulement ralentir. Ce qui semblait de l'eau devient comme un sirop épais. Vodka magique! C'est notre trésor à nous les Russes...
Vadim se rangeait volontiers du côté de l'ours, du morse ou du sapin de Sibérie, des êtres simples et forts qui ne maniaient pas le langage mais s'imposaient à tous par leur stature.
Comme dit le proverbe, « il faut boire de la vodka en deux occasions seulement : quand on mange et quand on ne mange pas ! »
J’ai appris bien des choses en me gelant sur ce grabat, entre autres celle-ci : que l’intelligence ne sert à rien pour combattre un froid mortel. Seul l’animal en nous peut s’en sortir. Tu saisis, chef ? Si quelqu’un rentrait vivant de ce séjour au pôle, ce ne serait pas le plus malin, le plus savant ou le plus équipé, mais celui qui aurait l’instinct de survie le plus fort. Voilà ce que m’ont enseigné ces deux semaines en enfer.
J’aurais crevé si je n’avais pas trouvé ces bouteilles. Avec la vodka, j’ai tenu le coup. On peut survivre des jours et des jours, sous cette perfusion-là...
A tout homme, il faut le matin une bonne raison de se lever, de quitter le nid douillet des couvertures pour les chocs et les frictions du monde extérieur. Eux n'en avaient pas.
La faute à la vodka, tout ça. Au-delà du sixième verre s’ouvrait une contrée trouble, pleine de cris et de tumulte, qui ne laissait aucun souvenir au buveur mais prélevait parfois une vie humaine. Des proverbes en avertissaient les Russes : la vodka allume la poudre ; elle chasse les lames du fourreau et les regrets des cœurs.
Dans la lumière croisée d'une dizaine de bougies, la croûte d'or des chaussons, gonflés à point, rappelait le couvercle bombé d'un coffre au trésor. Des gouttes de sauce ruisselaient dessus, écus étincelants échappés du magot.
Ca l'agaçait d'être aussi sensible, quand on parlait des femmes.
Sa théorie voyait dans l’alcool un lubrifiant des relations humaines et, en particulier, le précieux dégrippant des antipathies. Or, depuis la veille, personne n’avait porté le moindre toast. Leur chamaillerie sur le thème des pirojkis avait gâché le repas de Noël : c’est à peine si, à eux trois, ils avaient séché un malheureux demi-litre. Au petit déjeuner, les flacons étaient restés sagement dans le placard. Seul Vadim, en fin de compte, avait maintenu son ébriété à un niveau satisfaisant grâce à ses libations antigel.
— Bon, camarades… ça ne sert à rien de s’énerver ! lança Anton en tapotant l’épaule du glaciologue. Peut-être qu’un petit verre nous aiderait à y voir plus clair ? Comme dit le proverbe, « il faut boire de la vodka en deux occasions seulement : quand on mange et quand on ne mange pas ! ».