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Critique de Sarindar


Disons d'abord notre admiration devant une auteure qui révèle petit à petit différentes facettes de ses multiples dons et talents : qu'une historienne ayant écrit sur la La maladie et la foi au Moyen Âge soit capable de produire un vrai roman, et qui plus est un roman historique et policier, deux en un, voilà qui m'émerveille. Saluons ce qui est plus qu'une performance : c'est une réussite.
On se glisse avec plaisir dans l'histoire que d'autres avant moi, en de très bonnes critiques, ont décrite. Même si le sujet est dramatique - il s'agit d'élucider une affaire criminelle -, on retient avant tout de ce roman qu'il est beau et que sa lecture est savoureuse. D'abord parce que Lydia Bonnaventure nous brosse le portrait de personnages hauts en couleur, que ceux-ci aient réellement existé ou qu'ils soient sortis tout droit de son imagination. Avouons que, d'emblée, on ne fait plus trop la différence, tant les uns et les autres nous semblent plus vrais que nature, comme si tous avaient vraiment vécu ensemble.
L'apohicairesse Frénégonde, soeur jusque-là inconnue d'Hildegarde de Bingen, s'impose ainsi à nous, avec son caractère où l'auteure a dû mettre, comme en reflet, un peu - ou beaucoup - du sien, ou de ce qu'elle aimerait être : généreuse, "pétant la vie", n'ayant pas la langue dans sa poche et jurant plus souvent qu'à son tour, mais compétente et efficace en son art, celui de guérir maux et blessures avec les plantes médicinales les mieux adaptées au cas et à la personne.
Quelle femme et quelle trempe !
Tous les noms de saints et de saintes pourraient être employés "exclamativement" dans ses jurons. Ne la voit-on pas, dès le début, pousser un cri qui résonne comme un blasphème, en constatant qu'un vol a été commis dans son échoppe tandis qu'elle s'en était allée couper des herbes aromatiques dans son potager ? Et d'incriminer de suite les saltimbanques qui ne cessent de rôder autour de sa boutique et qui ne craignent même pas d'importuner les plus riches de ses clientes en leur faisant l'aumône.
Cette femme pas comme les autres a sans doute en horreur les gens qui ne savent rien faire de bien. C'est qu'elle a, avant tout, un grand coeur, et qu'elle est capable de soulager les maux des paysans qui travaillent aux champs ou à la vigne. Les épouses de ces besogneux viennent souvent la trouver et la solliciter tôt matin, leurs compagnons ayant passé une longue nuit à gémir de douleur.
Née à Bermesheim, dans le Palatinat, elle a migré à Alzey, ville protégée par un château fort dont la construction s'est achevée en 1118, l'année même où fut créé l'ordre des Templiers. Très tôt, elle a appris à connaître les vertus des plantes, soignant les maux de gorge de son père avec la menthe, le thym et le romarin. S'éprenant du fils du commerçant qui les lui vendait, Frénégonde avait surtout goûté le gentillesse de ce garçon, prénommé Eberhard, timide à souhait et visiblement troublé par elle, mais connaissant sur le bout des doigts l'art de soigner avec les herbes et recommandé par le médecin des lieux, Auderic. Un rendez-vous pour parler des propriétés de ces produits bienfaisants issus de la nature fut l'occasion pour nos deux tourtereaux de se rapprocher de très près et de se dire, sans mots inutiles, un amour fou et partagé, et heureusement approuvé par leurs parents respectifs. Court bonheur interrompu par la passion d'Eberhard pour les plaisirs équestres. Son cheval avait chuté dans une fosse creusée par des chasseurs, et, dans la culbute, le crâne du cavalier s'était fracassé sur une pierre. Toute la science connu de l'époque fut impuissante à empêcher la triste conclusion de cette chevauchée. Frénégonde venait déjà de perdre en peu de temps son beau-père et ses parents. Et voilà que c'était maintenant son époux chéri qui s'en allait. La foi chrétienne de la jeune femme en fut ébranlée et amoindrie. Seule consolation, Ebehard lui laissait un fils, Gottfried. Elle le destina à la profession d'apothicaire pour qu'il marchât sur les traces du défunt. Till, envoyé par Auderic, pour remplir dans l'intervalle l'office vacant, s'entendit avec Frénégonde pour la laisser tenir la boutique, décision reconnue par la confrérie des médecins. Plus tard, Till quitta Alzey pour Mannheim et Gottfried prit la relève.
Voilà pour l'entrée en matière de ce roman. Et l'intrigue ? Tout commence avec l'enquête de moralité entreprise auprès des membres de la famille d'Hildegarde de Bingen, qui est appelée à devenir la responsable de la communauté de soeurs dans laquelle est entrée, un choix qui est contesté par une rivale qui envoie une connaissance à elle interroger Frénégonde.
Nous ne dirons pas la suite, qui est forte, avec l'entremêlement de situations, à Alzey tout comme dans le couvent, où l'on fait d'un côté la découverte d'un blessé et de l'autre où l'on se met à supposer qu'une religieuse a été mystérieusement inhumée. Tout se noue là, et nous ne dévoilerons pas la suite, car l'on se prend au jeu et l'on suivra avec plaisir cette enquête jusqu'à son dénouement.

La romancière Lydia Bonnaventure, en écrivant Frénégonde, aura su nous faire partager son bonheur d'une écriture plus libre que celle de l'historienne qu'elle est et reste par ailleurs. J'en suis d'autant plus ému et admiratif que je rêve moi aussi, secrètement, de venir un jour au roman. Mais que je n'ai pas encore trouvé, comme Lydia, la recette ou la plante miraculeuse dont il me faudrait retirer tout le bénéfice, pour me muer, comme par magie, en auteur de fiction.

François Sarindar
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