AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eve-Yeshe


Je redoutais de lire ce livre, car l'érudition de l'auteure, Lydia Bonnaventure qui une amie, rencontrée sur mon site préféré, me faisait craindre de ne pas être à même de tout bien comprendre. En fait, la lecture a été passionnante, très agréable et j'ai découvert beaucoup de choses, de notions qui je ne connaissais pas, n'ayant pas l'habitude de considérer la maladie sous cet angle-là. Déjà, le terme « Mal des ardents » que l'on appelle aussi le feu de Saint-Antoine ou le Feu Sacré, était relativement obscur pour moi car j'avais tendance à confondre cette maladie à la Lèpre, alors qu'il s'agit de l' «Ergotisme » dont Jeanne Bourin décrit ainsi dans « le grand Feu » en 1985:


Ce livre est composé de trois parties d'importance égale. L'auteure nous parle de la maladie au Moyen-âge et de ses relations avec la société. Puis elle aborde la description de ces maladies et pour finir, le symbolisme de celles-ci.

Les grandes « maladies » de l'époque sont le Mal des ardents et la lèpre, et les petites pestes, qui annoncent la peste noire qui arrivera un siècle plus tard. Elles se ressemblent car on trouve des signes cutanés dans les deux cas, des signes neurologiques qui peuvent terrifier le commun des mortels.

Lydia Bonnaventure nous explique que Gautier de Coinci a choisi le motif de la maladie dans ses écrits, car les épidémies, perçues comme diaboliques, ont marqué l'imaginaire de l'époque. On en parle dans la Bible qui sert de référence. Elles véhiculent toutes sortes d'idées reçues, car qui pourrait parler de cause biologique, à l'époque ? L'hygiène est présente, déjà, avec les plaisirs du bain (on dénombre vingt-sept « Bains publics, à Paris, à la fin du XIIIe siècle).

Il s'agit donc d'une période de transition, où commencent à se côtoyer, les microbes, invisibles à l'époque, la notion de châtiment divin pour expliquer l'apparition de la maladie et le fait que celle-ci peut toucher n'importe quelle personne, quel que soit son rang dans la Société. On n'est plus dans le « tout religieux ». La péché était considéré avant comme la cause de la maladie, or on s'aperçoit que des personnes n'en ayant pas commis, sont atteintes. le Prieur va ainsi dresser une hiérarchie dans les malades, en fonction de la classe sociale.

L'auteure ne se contente pas de traduire le texte, d'étudier la pensée de Gautier de Coinci, elle nous livre également une analyse approfondie du raisonnement n'hésitant pas à le comparer à d'autres auteurs de l'époque, d'autres « miracles », pour décortiquer la relation du malade avec la Société de l'époque, qui rejette ce qu'elle ne comprend pas, ce qui conduit à l'abandon des malades, au bannissement, à l'exil. Ils ont perdu leur identité, on les compare à des animaux (ours revient souvent, chien également), le pire étant l'excommunication.

D'un autre côté, que faire ? Quelle conduite à tenir dirait-on de nos jours ? le chemin de la guérison passe ainsi par la confession, le repentir, la dévotion, les prières, le miracle.

Mais aussi, tourment, hideux, pourri, ours, loutre… avec des liens bien sûr avec le péché. Autant la maladie rime avec ces termes percutants, autant la guérison va être en lien avec des mots plus doux. La Vierge, substitut de la mère qui guérit, le lait, les gestes guérisseurs, tels le baiser et les reliques.

Quand à la partie consacrée au symbolisme, elle est excellente, revenant sur la notion de maladie-punition et à la possibilité ou non d'une rédemption.

Bref, une étude brillante qui met en évidence les notions de l'époque concernant la maladie et toujours, le côté dichotomie, qu'on retrouve, des éléments qui s'opposent ou se complètent, se répondent. Une opposition entre le réalisme et le symbolisme, bien mise en évidence par l'auteure, l'opposition entre les femmes pécheresses et la Vierge, et les miracles qui peuvent être accomplis par des humains guéris, qui ont trouvé un refuge dans la prière. de nos jours, les scientifiques ont reconnu l'effet positif de la prière, de la méditation de la pleine conscience (on utilise le terme « mindfullness », cela fait mieux, il y a moins de connotation religieuse dans la sphère laïque).

J'ai beaucoup aimé la légende sur la Vie de Sainte Marie l'Egyptienne, qui est retransmise dans son intégralité. Elle est très émouvante et montre le pouvoir de la foi, certes mais aussi du comportement pas nécessairement ascétique, la possibilité de transcendance.

La lecture de la vie des Maîtres (ou des grands Saints) est toujours très enrichissante, inspirante, surtout dans une époque où la spiritualité est réduite à la portion congrue, car le Dieu actuel est l'argent, où le matérialisme, le consumérisme, l'égocentrisme sont omnipotents…

J'ajouterai un petit mot sur l'exil, le bannissement et l'abandon, très bien étudiés par l'auteure : que se passe-t-il de nos jours, face aux personnes atteintes de maladies infectieuses, ou simplement de maladie chronique ? Certes, elles ne sont pas exilées géographiquement mais le vide se fait autour d'elles, la personne en bonne santé acceptant mal qu'on puisse être handicapé alors qu'on est jeune, ou pas dans un fauteuil roulant ? A-t-on vraiment progressé ? Je referme la parenthèse…

L'écriture est belle, les mots sont bien choisis, percutants lorsqu'il le faut, notre imaginaire se mêlant et s'imprégnant de celui de l'époque, le texte est léger alors que le sujet sort de l'ordinaire.

Pour un Essai dans le sens littéraire du terme, je dirais que c'est un coup de Maître… ce livre est passionnant, dans tous les sens du terme (là aussi). Lydia Bonnaventure a fait un très beau travail. Son étude est précise, documentée, tout est analysé, argumenté, aussi bien le texte (l'écriture) de Gautier de Coinci que son propos et la confrontation avec d'autres auteurs de l'époque. Ce texte est en fait le mémoire de maîtrise de l'auteure, mais je pense qu'il pourrait faire l'objet d'une thèse, vue la richesse du texte, la bibliographie, l'iconographie aussi (cf. les photos du manuscrit de Gautier de Coinci qui illustrent les chapitres.

C'est le premier livre de l'auteure et j'attends le suivant avec impatience. Je redoutais la lecture et en fait, ce qui a été plus redoutable encore, a été d'écrire une critique sur un ouvrage aussi brillant, (surtout après avoir lu la critique de Sarindar, sur Babelio.com, qui a mis la barre très haute…). J'ai livré mon ressenti, en insistant sur ce qui m'a le plus enthousiasmée, devant ce travail d'orfèvre. Amateurs du Moyen-âge, sa vie littéraire, son histoire, n'hésitez pas ce livre est un bijou à mettre dans touts les mains.


Note : 9,6/10


Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
Commenter  J’apprécie          639



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}