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Citations sur Essai sur l'origine des connaissances humaines (19)

Des matériaux de nos connoissances, & particuliérement des opérations de l’ame. des matériaux de nos connoissances, & de la distinction de l’ame & du corps.
§. 1. Soit que nous nous élevions, pour parler métaphoriquement, jusques dans les cieux ; soit que nous descendions dans les abysmes ; nous ne sortons point de nous-mêmes ; & ce n’est jamais que notre propre pensée que nous appercevons. Quelles que soient nos connoissances ; si nous voulons remonter à leur origine, nous arriverons enfin à une première pensée simple, qui a été l’objet d’une seconde, qui l’a été d’une troisième, & ainsi de suite. C’est cet ordre de pensées qu’il faut développer, si nous voulons connoître les idées que nous avons des choses.
§. 2. Il seroit inutile de demander quelle est la nature de nos pensées. La première réflexion sur soi-même peut convaincre que nous n’avons aucun moyen pour faire cette recherche. Nous sentons notre pensée ; nous la distinguons parfaitement de tout ce qui n’est point elle ; nous distinguons même toutes nos pensées les unes des autres : c’en est assez. En partant de-là, nous partons d’une chose que nous connoissons si clairement, qu’elle ne sçauroit nous engager dans aucune erreur.
§. 3. Considérons un homme au premier moment de son existence : son ame éprouve d’abord différentes sensations ; telles que la lumière, les couleurs, la douleur, le plaisir, le mouvement, le repos : voilà ses premières pensées.
§. 4. Suivons-le dans les momens où il commence à réfléchir sur ce que les sensations occasionnent en lui ; & nous le verrons se former des idées des différentes opérations de son ame, telles qu’appercevoir, imaginer : voilà ses secondes pensées. Ainsi, selon que les objets extérieurs agissent sur nous, nous recevons différentes idées par les sens ; &, selon que nous réfléchissons sur les opérations que les sensations occasionnent dans notre ame, nous acquérons toutes les idées que nous n’aurions pu recevoir des choses extérieures.
§. 5. Les sensations & les opérations de l’ame sont donc les matériaux de toutes nos connoissances : matériaux que la réflexion met en œuvre, en cherchant, par des combinaisons, les rapports qu’ils renferment. Mais tout le succès dépend des circonstances par où l’on passe. Les plus favorables sont celles qui nous offrent en plus grand nombre des objets propres à exercer notre réflexion. Les grandes circonstances, où se trouvent ceux qui sont destinés à gouverner les hommes, sont, par exemple, une occasion de se faire des vues fort étendues : & celles qui se répètent continuellement dans le grand monde donnent cette sorte d’esprit qu’on appelle naturel ; parce que, n’étant pas le fruit de l’étude, on ne sçait pas remarquer les causes qui le produisent. Concluons qu’il n’y a point d’idées qui ne soient acquises : les premières viennent immédiatement des sens ; les autres sont dues à l’expérience, & se multiplient à proportion qu’on est plus capable de réfléchir.
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Je distingue donc de deux sortes de perceptions parmi celles dont nous avons conscience : les unes dont nous nous souvenons au moins le moment suivant, les autres que nous oublions aussitôt que nous les avons eues. Cette distinction est fondée sur l’expérience que je viens d’apporter. Quelqu’un qui s’est livré à l’illusion se souviendra fort bien de l’impression qu’a fait sur lui une scène vive et touchante, mais il ne se souviendra pas toujours de celle qu’il recevait en même temps du reste du spectacle.
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L'expérience du philosophe, comme celle du pilote est la connaissance des écueils où les autres ont échoué ; et, sans cette connaissance, il n'est point de boussole qui puisse le guider.
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§. 53. La musique est un art où tout le monde se croit en droit de juger, et où, par conséquent, le nombre des mauvais juges est bien grand. Il y a, sans doute, dans cet art, comme dans les autres, un point de perfection dont il ne faut pas s’écarter : voilà le principe ; mais qu’il est vague ! Qui, jusqu’ici, a déterminé ce point ? et s’il ne l’est pas, à qui est-ce à le reconnaître ? Est-ce aux oreilles peu exercées, parce qu’elles sont en plus grand nombre ? Il y a donc eu un temps où la musique de Lulli a été justement condamnée. Est-ce aux oreilles savantes, quoiqu’en petit nombre ? Il y a donc aujourd’hui une musique qui n’en est pas moins belle, pour être différente de celle de Lulli.

Il devait arriver à la musique d’être critiquée à mesure qu’elle se perfectionnerait davantage, surtout si les progrès en étaient considérables et subits : car alors elle ressemble moins à ce qu’on est accoutumé d’entendre. Mais commence-t-on à se la rendre familière, on la goûte et elle n’a plus que le préjugé contre elle.
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Chapitre v
de la musique.
Jusqu’ici j’ai été obligé de supposer que la musique était connue des anciens : il est à propos d’en donner l’histoire, du moins en tant que cet art fait partie du langage.

§. 43. Dans l’origine des langues, la prosodie étant fort variée, toutes les inflexions de la voix lui étaient naturelles. Le hasard ne pouvait donc manquer d’y amener quelquefois des passages dont l’oreille était flattée. On les remarqua, et l’on se fit une habitude de les répéter : telle est la première idée qu’on eut de l’harmonie.

§. 44. L’ordre diatonique, c’est-à-dire, celui où les sons se succèdent par tons et demi-tons, paraît aujourd’hui si naturel, qu’on croirait qu’il a été connu le premier ; mais si nous trouvons des sons dont les rapports soient beaucoup plus sensibles, nous aurons droit d’en conclure que là succession en a été remarquée auparavant.

Puisqu’il est démontré que la progression par tierce, par quinte et par octave, tient immédiatement au principe où l’harmonie prend son origine, c’est-à-dire, à la résonnance des corps sonores, et que l’ordre diatonique s’engendre de cette progression ; c’est une conséquence que les rapports des sons doivent être bien plus sensibles dans la succession harmonique que dans l’ordre diatonique. Celui-ci en s’éloignant du principe de l’harmonie, ne peut conserver des rapports entre les sons, qu’autant qu’ils lui sont transmis par la succession qui l’engendre. Par exemple, ré, dans l’ordre diatonique, n’est lié à ut, que parce qu’ut, ré, est produit par la progression ut, sol ; et la liaison de ces deux derniers a son principe dans l’harmonie des corps sonores, dont ils font partie. L’oreille confirme ce raisonnement ; car elle sent mieux le rapport des sons ut, mi, sol, ut, que celui des sons ut, ré, mi, fa. Les intervalles harmoniques ont donc été remarqués les premiers.

Il y a encore ici des progrès à observer ; car les sons harmoniques formant des intervalles plus ou moins faciles à entonner, et ayant des rapports plus ou moins sensibles, il n’est pas naturel qu’ils aient été aperçus et saisis aussitôt les uns que les autres. Il est donc vraisemblable qu’on n’a eu cette progression entière ut, mi, sol, ut, qu’après plusieurs expériences. Celle-là connue, on en fit d’autres sur le même modèle telles que sol, si, ré, sol. Quant à l’ordre diatonique, on ne le découvrit que peu-à-peu et qu’après beaucoup de tâtonnements, puisque la génération n’en a été montrée que de nos jours1
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65. A suivre mes conjectures, si les Romains ont dû être plus sensibles à l’harmonie que nous, les Grecs y ont dû être plus sensibles qu’eux, et les Asiatiques encore plus que les Grecs : car plus les langues sont anciennes, plus leur prosodie doit approcher du chant. Aussi a-t-on lieu de conjecturer que le grec était plus harmonieux que le latin, puisqu’il lui prêta des accents. Quant aux Asiatiques, ils recherchaient l’harmonie avec une affectation que les Romains trouvaient excessive, Cicéron le fait entendre, lorsqu’après avoir blâmé ceux qui, pour rendre le discours plus cadencé, le gâtent à force d’en transposer les termes, il représente les orateurs Asiatiques comme plus esclaves du nombre que les autres. Peut-être aujourd’hui trouverait-il que le caractère de notre langue nous fait tomber dans le vice opposé : mais si par-là nous avons quelques avantages de moins, nous verrons ailleurs que nous en sommes dédommagés par d’autres endroits.

Ce que j’ai dit à la fin du sixième chapitre de cette section, est une preuve bien sensible de la supériorité de la prosodie des anciens.

Notes
1. Voyez la Génération Harmonique de M. Rameau.

2. Hist. de l’acad. des Belles-Lettres, tom. 5.

3. Première partie, §. 21.

4. Tom. 3, sect. X.

5. Réfl. Crit., tom. 3, sect. XVIII.

6. Traité de l’Orat.
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Chapitre vii
Quelle est la prosodie la plus parfaite.
§. 62. Chacun sera, sans doute, tenté de décider en faveur de la prosodie de sa langue : pour nous précautionner contre ce préjugé, tâchons de nous faire des idées exactes.

La prosodie la plus parfaite est celle qui, par son harmonie, est la plus propre à exprimer toutes sortes de caractères. Or, trois choses concourent à l’harmonie, la qualité des sons, les intervalles par où ils se succèdent, et le mouvement. Il faut donc qu’une langue ait des sons doux, moins doux, durs même, en un mot de toutes les espèces ; qu’elle ait des accents qui déterminent la voix à s’élever et à s’abaisser ; enfin que, par l’inégalité de ses syllabes, elle puisse exprimer toutes sortes de mouvements.

Pour produire l’harmonie, les chutes ne doivent pas se placer indifféremment. Il y a des moments où elle doit être suspendue ; il y en a d’autres où elle doit finir par un repos sensible. Par conséquent, dans une langue dont la prosodie est parfaite, la succession des sons doit être subordonnée à la chute de chaque période, en sorte que les cadences soient plus ou moins précipitées, et que l’oreille ne trouve un repos qui ne laisse rien à désirer, que quand l’esprit est entièrement satisfait.

§. 63. On reconnaîtra combien la prosodie des Romains approchait plus que la nôtre de ce point de perfection, si l’on considère l’étonnement avec lequel Cicéron parle des effets du nombre oratoire. Il représente le peuple ravi en admiration, à la chute des périodes harmonieuses ; et, pour montrer que le nombre en est l’unique cause, il change l’ordre des mots d’une période qui avait eu de grands applaudissements, et il assure qu’on en sent aussitôt disparaître l’harmonie. La dernière construction ne conservait plus, dans le mélange des longues et des brèves, ni dans celui des accents, l’ordre nécessaire pour la satisfaction de l’oreille6. Notre langue a de la douceur et de la rondeur, mais il faut quelque chose de plus pour l’harmonie. Je ne vois pas que, dans les différents tours qu’elle autorise, nos orateurs aient jamais rien trouvé de semblable à ces cadences qui frappaient si vivement les Romains.

§. 64. Une autre raison qui confirme la supériorité de la prosodie latine sur la nôtre, c’est le goût des Romains pour l’harmonie, et la délicatesse du peuple même à cet égard. Les comédiens ne pouvaient faire, dans un vers, une syllabe plus longue ou plus brève qu’il ne fallait, qu’aussitôt toute l’assemblée, dont le peuple faisait partie, ne s’élevât contre cette mauvaise prononciation.

Nous ne pouvons lire de pareils faits sans quelque surprise ; parce que nous ne remarquons rien parmi nous qui puisse les confirmer. C’est qu’aujourd’hui la prononciation des gens du monde est si simple que ceux qui la choquent légèrement ne peuvent être relevés que par peu de personnes, parce qu’il y en a peu qui se la soient rendue familière. Chez les Romains, elle était si caractérisée, le nombre en était si sensible que les oreilles les moins fines y étaient exercées : ainsi ce qui altérait l’harmonie ne pouvait manquer de les offenser.
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§. 61. La prosodie, dans chaque langue, ne s’éloigne pas également du chant : elle recherche plus ou moins les accents, et même les prodigue à l’excès, ou les évite tout-à-fait ; parce que la variété des tempéraments, ne permet pas aux peuples de divers climats de sentir de la même manière. C’est pourquoi les langues demandent, selon leur caractère, différents genres de déclamation et de musique. On dit, par exemple, que le ton dont les Anglais expriment la colère, n’est, en Italie, que celui de l’étonnement.

La grandeur des théâtres, les dépenses des Grecs et des Romains pour les décorer, les masques qui donnaient à chaque personnage la physionomie que demandait son caractère, la déclamation qui avait des règles fixes, et qui était susceptible de plus d’expression que la nôtre, tout paraît prouver la supériorité des spectacles des anciens. Nous avons, pour dédommagement, les grâces, l’expression du visage, et quelques finesses de jeu, que notre manière de déclamer a seule pu faire sentir.
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§. 59. Cependant elle supplée à ce défaut par l’avantage qu’elle a de nous paraître plus naturelle. Elle donne à son expression un air de vérité, qui fait que, si elle agit sur les sens plus faiblement que la musique, elle agit plus vivement sur l’imagination. C’est pourquoi nous sommes souvent plus touchés d’un morceau bien déclamé, que d’un beau récitatif. Mais chacun peut remarquer que, dans les moments où la musique ne détruit pas l’illusion, elle fait à son tour une impression bien plus grande.

§. 6o. Quoique notre déclamation ne puisse pas se noter, il me semble qu’on pourrait en quelque sorte la fixer. Il suffirait qu’un musicien eût assez de goût pour observer, dans le chant, à-peu-près les mêmes proportions que la voix suit dans la déclamation. Ceux qui se seraient rendus ce chant familier, pourraient, avec de l’oreille, y retrouver la déclamation qui en aurait été le modèle. Un homme rempli des récitatifs de Lulli, ne déclamerait-il pas les tragédies de Quinault, comme Lulli les eût déclamées lui-même ? Pour rendre cependant la chose plus facile, il serait à souhaiter que la mélodie fût extrêmement simple, et qu’on n’y distinguât les inflexions de la voix qu’autant qu’il serait nécessaire pour les apprécier. La déclamation se reconnaîtrait encore plus aisément dans les récitatifs de Lulli, s’il y avait mis moins de musique. On a donc lieu de croire que ce serait là un grand secours pour ceux qui auraient quelques dispositions à bien déclamer.
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Chapitre vi
Comparaison de la déclamation chantante et de la déclamation simple.
§. 57. Notre déclamation admet de temps en temps des intervalles aussi distincts que le chant. Si on ne les altérait qu’autant qu’il serait nécessaire pour les apprécier, ils n’en seraient pas moins naturels, et l’on pourrait les noter. Je crois même que le goût et l’oreille font préférer au bon comédien les sons harmoniques, toutes les fois qu’ils ne contrarient point trop notre prononciation ordinaire. C’est sans doute pour ces sortes de sons que Molière avait imaginé des notes5. Mais le projet de noter le reste de la déclamation est impossible ; car les inflexions de la voix y sont si faibles que, pour en apprécier les tons, il faudrait altérer les intervalles, au point que la déclamation choquerait ce que nous appelons la nature.

§. 58. Quoique notre déclamation ne reçoive pas, comme le chant, une succession de sons appréciables, elle rend cependant les sentiments de l’âme assez vivement pour remuer ceux à qui elle est familière, ou qui parlent une langue dont la prosodie est peu variée et peu animée. Elle produit sans doute cet effet, parce que les sons y conservent à-peu-près entre eux les mêmes proportions que dans le chant. Je dis à-peu-près ; car n’y étant pas appréciables, ils ne sauraient avoir des rapports aussi exacts.

Notre déclamation est donc naturellement moins expressive que la musique. En effet, quel est le son le plus propre à rendre un sentiment de l’âme ? C’est d’abord celui qui imite le cri qui en est le signe naturel, il est commun à la déclamation et à la musique. Ensuite ce sont les sons harmoniques de ce premier, parce qu’ils lui sont liés plus étroitement. Enfin, ce sont tous les sons qui peuvent être engendrés de cette harmonie, variés et combinés dans le mouvement qui caractérise chaque passion : car tout sentiment de l’âme détermine le ton et le mouvement du chant, qui est le plus propre à l’exprimer. Or, ces deux dernières espèces de sons se trouvent rarement dans notre déclamation, et d’ailleurs elle n’imite pas les mouvements de l’âme, comme le chant.
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