Une vie de femme, épouse et mère, ne se perd pas comme on perd connaissance.
J'avais tout laissé à Prypiat. Je pensais en regardant les voyageuses à ma jolie nappe brodée, aux plats qui venait de la mère de ma mère et aux bonnes choses qu'on préparait dedans, aux gestes aussi pour les confectionner, aux photographies de famille - on devait revenir...
Plus de passé. Pas d'avenir. Un présent démesuré.
Je me sentais plus veille que ma mère.
Je ne situais sur la carte ni Mururoa, ni Tchernobyl. Est-ce qu’il était possible que la fin de monde ne me concerne pas ?
Prenez vos nuits pour imaginer : il existe un endroit sur terre où l’homme a rendu sa vie impossible. C’était il y a trente ans et c’est maintenant.
[...] Les dosimètres claquent si fort que les machines ne tiennent pas le coup. Les robots (les robots allemands même) tombent en panne et se jettent dans le vide. Seuls l’homme, et la pelle, et la main, quand la pelle n’est pas commode.
[...] On ne se doutait pas. On ne doutait de rien.
[...] Très vite, aucun homme de sa section ne s’embarrasserait plus des appareils de mesure, bridés une fois pour toutes à une dose forfaitaire, ils arrêteraient de compter, ils en seraient là, ils ne compteraient plus, au sens propre.
[...] Est-ce que ça pouvait être la fin du monde à un endroit et pas à un autre ?
[...] J’aurais aimé prier, si j’avais su. Mais j’étais une vraie communiste.
L'absence de Petro était à ce point libératrice que je ne pouvais pas m'empêcher de souhaiter sa disparition pure et simple, définitive. Qu'il ne revienne pas.