On comprend que Cohen soit accablé devant les facilités de son ami et seul véritable rival en chansons : Bob Dylan. (...) Bob lui demande combien de temps il a mis pour écrire "Hallelujah" (il est le premier à avoir repris le morceau sur scène dès 1988). "Seulement deux ans", avoue son auteur, en mentant à coup sûr : cette chanson lui en a pris au moins quatre, et quelques quatre-vingts couplets, tous finis, tous polis, tous parfaits, tous mis à la poubelle. "Et toi ? Combien de temps pour "I and I" ? lui demande Cohen. "Un quart d'heure", répond Dylan.
Les musiciens aguerris de Leonard Cohen accomplissent leur métier : jouer chaque soir la série identique de notes faussement emballées, virtuoses, mais pas trop, semblables, à l'inflexion près. On travaille à la reproduction immuable de chaque instant garanti comme par contrat. Aucune chance de rater quoi que ce soit, le produit est impeccable, aucune chance de réussir quoi que soit non plus.
Il est ce moine zen, image de la paix et du recueillement, qui médite en secret mille morts pour ses ennemis imaginaires.