AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Gustave


Une anthologie terriblement révélatrice de la pensée de Boulgakov. Je viens de terminer la Locomotive ivre et autres récits, et j'y avais été surpris de lire un certain nombre de passages sympathiques sur les bolcheviks (même s'il se moque d'eux le plus souvent), ce qui m'avait paru contradictoire de la part de cet auteur que j'avais connu autrement plus antisoviétique...


En fait la clé de cette apparente contradiction nous est livrée par deux des trois nouvelles de ce recueil, J'ai tué et l'Ile Pourpre, le Brasier du Khan étant un récit à part.


Le Brasier du Khan semble être l'une des premières oeuvres d'imagination pure de Boulgakov. le récit se déroule dans un ancien palais d'une famille de nobles russes descendants de Mongols: la soudaine réapparition du dernier prince de ces lieux, et sa disparition tout aussi mystérieuse à la fin de la nouvelle n'est pas sans faire penser au personnage de Woland, du Maître et Marguerite, expert en apparitions et disparitions soudaines...


Quant au motif du brasier engloutissant les archives familiales, qui ici symbolise l'impuissance du prince à ressuciter un passé fastueux perdu pour toujours, il connaîtra également sa fortune dans le Maître et Marguerite, à travers la phrase cultissime: "Les manuscrits ne brûlent jamais!" C'est vrai qu'entretemps Boulgakov aura lui-même fait une expérience similaire, ayant brûlé un premier jet de ce qui allait être son chef-d'oeuvre ultime...


L'île Pourpre et J'ai tué éclairent d'un jour nouveau la pensée profonde de Boulgakov.
En ce qui concerne J'ai tué, on y découvre que pour être antisoviétique, Boulgakov se sent avant tout Russe: aussi préfère t-il les bolcheviks de Lénine, qui demeurent malgré tout des compatriotes, aux nationalistes ukrainiens de Petlioura...D'où le meurtre du colonel de cette même armée, au comportement par ailleurs tyrannique et inhumain, en particulier envers les Juifs (il est vrai que les indépendantistes ukrainiens étaient souvent fanatiquement antisémites, même si Petlioura, leur chef tenta d'empêcher les pogromes et que les tsaristes de Dénikine étaient loin d'être exemplaires en la matière...).

Le docteur Iavchine va jusqu'à affirmer qu'il attendait avec impatience l'arrivée de l'Armée rouge, afin que Kiev soit libérée de l'armée ukrainienne (en fait Boulgakov aurait pu faire un très bon médecin chez les séparatistes pro-russes dans l'actuelle Crimée ou dans l'est de l'Ukraine...).

Quant à l'île Pourpre, un conte censé décrire la Révolution russe, ses libertés qu'il prend avec la réalité historique sont éloquents...La sympathie de Boulgakov envers l'ancien régime tsariste est évidente, lorsqu'il compare la révolution de 1917 à une catastrophe naturelle, à savoir une éruption volcanique...En somme, l'effondrement de l'ancien régime est vu comme un cataclysme survenu alors que tout allait bien (la réalité est bien entendu plus complexe que cela).


La suite réserve bien des surprises: comme dans la vraie histoire, il y a bien une guerre civile russe, sauf que cela se termine par...une réconciliation générale entre Russes rouges et Russes blancs...Faut-il y voir ici l'image de ce que Boulgakov aurait souhaité, ou une concession à la censure soviétique? Toujours est-il qu'il passe ici sous silence une réalité qui fut des plus sordides: Terreur rouge d'un côté, Terreur blanche de l'autre, les deux ayant causé plus de morts en trois ans qu'en un siècle de répressions exercées par le tsarisme...


Si l'on réduisait l'île Pourpre à sa dimension politique et historique, les approximations sont suffisamment nombreuses pour la disqualifier. La liberté que permet la littérature permet au contraire de faire de cet aveuglement, volontaire ou non, de Boulgakov, un récit porteur d'une vérité: le désir de transcender par la satire et la parodie une des périodes les plus tragiquement et absurdement sanglantes de l'histoire de la Russie.

Et encore, Boulgakov est mort avant la Seconde Guerre mondiale, qui demeure la pire épreuve subie par le peuple russe, avec la terreur stalinienne...
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}