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Critique de Arimbo


JBoulgakov a écrit là un livre merveilleux, qui rend si vivant notre Molière, dont nous parlons la langue, dont nous connaissons la « Maison », toujours là au Palais Royal, et dont l'oeuvre, je trouve, s'est malheureusement, empoussiérée au passage dans les manuels scolaires.
D'ailleurs, j'émettrais bien un voeu, ça ne me coûte rien, c'est que ce livre soit au programme de français du Bac, car, bien qu'écrit par un auteur russe, né à Kiev, mort à Moscou, ce qui ne veut pas rien dire, pour parler comme Rimbaud, en ces horribles temps pour l'Ukraine, cette version romanesque est un magnifique hommage au théâtre français. Et en plus, venant d'un génie, qui encore plus que Molière, a connu les obstacles pour que ses pièces soient jouées, ou plutôt pas jouées en ce qui le concerne, car la censure de la dictature soviétique, c'est bien pire que ce qu'a subi Molière.

Dans ce roman, Boulgakov nous raconte, à sa façon pleine de verve et d'imagination, la vie de notre grand auteur, de sa naissance à sa mort.
Le fond est vrai, mais l'auteur y invente, y brode, il ne le cache pas, c'est un roman qu'il écrit. Il nous dit aussi sa perplexité sur certains faits, tel, par exemple, la question non résolue, sur le fait qu'Armande Béjart, sa femme, aurait pu être sa fille (reste il des ossements qui pourraient faire parler l'ADN? je ne crois pas).

Grâce à ce roman, j'ai appris pas mal de détails que je ne savais pas ou que j'avais oubliés, parmi lesquels, je ne peux les citer tous:
- que sa vocation viendrait de ce que son grand-père maternel l'emmenait voir des spectacles de rue et des représentations théâtrales à l'Hôtel de Bourgogne;
- que Jean-Baptiste avait fait des études de droit, mais l'affirmation qu'il avait obtenu la charge d'avocat, que Boulgakov nous présente comme vraie, n'est pas prouvée;
- qu'il a eu avant le succès et la gloire, un temps de « vaches maigres »: échec de l'Illustre Théâtre fondé à Paris grâce à une dot de sa mère, itinérance de sa troupe dans le Sud de la France pendant plus d'une dizaine d'années, avec un modeste succès, lié entre autres, à ce que Molière était un piètre acteur dramatique, du moins pour les goûts de l'époque (Boulgakov nous livre sa petite théorie sur la question, je vous laisse la découvrir);
- que le succès, qui restera constant, vient dès que Molière se met à écrire des comédies;
- que sa critique moqueuse des travers de ses contemporains dans ses pièces de théâtres, lui a valu des ennuis de toutes sortes, comme, lors des représentations, des vociférations des personnages s'étant trouvées raillés par l'auteur, aussi des menaces, des procès, etc…Le pire a été son « Tartuffe »; en effet, son portrait sans concession de ce dévot hypocrite a déclenché les foudres du clergé, la pièce étant considéré comme impie, anticléricale. La première représentation sera repoussée de nombreuses fois suite à des interdictions successives, la dernière étant celle de l'Archevêque de Paris. Finalement, il convaincra Louis XIV d'autoriser la représentation.
- que Molière avait une créativité débordante et travaillait à une vitesse incroyable. En quelques jours, certaines pièces ont été écrites, mises en scène, répétées, et représentées. En cela, il me fait penser à Shakespeare, l'autre Grand du théâtre, dont on se demande comment il a pu faire pour écrire en peu de temps tant de chefs-d'oeuvre.
- que le fait qu'il a eu pour protecteur d'abord le frère de Louis XIV, le prince d'Orléans, puis Sa Majesté, l'a amené à créer des pièces de circonstances, avec des ballets pour un Roi qui adorait la danse, et dansait lui-même très bien;
- que la parodie des Turcs dans le Bourgeois Gentilhomme, lui aurait été suggéré par le Grand Louis qui n'avait pas trop apprécié l'attitude méprisante du Sultan d'Istambul qu'il avait accueilli en grande pompe;
Et puis, et puis, …je m'arrête là.

Un des traits de caractère de Molière, que je connaissais pas, c'est qu'il était dit-on, neurasthénique, sujet à des accès de dépression, bref un clown triste, comme le sont souvent les grands humoristes, et en cela, j'ai tout de suite pensé à Chaplin, qui lui non plus n'était pas follement gai.

Par contre, il était quelqu'un de très agréable, attentif non seulement à ses comédiennes, ça on l'imagine bien, mais aussi à ses comédiens. le genre chef d'équipe, animateur bienveillant, pas hautain pour deux sous, harceleur encore moins.

Boulgakov nous fait vivre « en direct » les péripéties de la création des pièces, c'est vivant et jubilatoire.
Jusqu'à ce célèbre Malade Imaginaire, dans lequel il règle notamment ses comptes avec le corps médical de l'époque, lui qui était atteint de tuberculose, et mal en point lorsqu'il commença à jouer la pièce.
Et qu'il soit pris d'un malaise, doive rentrer chez lui, au 40, rue Richelieu, et y mourir, vraisemblablement d'une hémoptysie massive.
Et sa veuve qui devra supplier le Roi pour que le comédien, dont le métier est « impur » et donc n'a pas le droit aux obsèques religieuses, ni au cimetière des bons chrétiens, puisse avoir une sépulture, et notre Molière sera enterré dans le carré réservé aux suicidés et aux enfants non baptisés.

J'ai trouvé ce roman très réussi. On n'y trouve pas la beauté de construction et la profondeur philosophique du Maître et Marguerite. Mais, c'est, par delà l'hommage à l'immense auteur et comédien, un hommage vibrant, émouvant au théâtre. Et qui donne envie de relire toutes les pièces du grand homme de théatre.

Et les dernières phrases du livre sont particulièrement touchantes: « …il quitta un jour le morceau de terre où restèrent les suicidés et les enfants non baptisés pour s'installer au dessus de la vasque d'une fontaine asséchée (N.B. La belle fontaine Molière, située devant son domicile, a été enfin rénovée en 2022). le voilà! Il est là, le comédien royal, avec des noeuds de bronze à ses souliers! Et moi, qui n'ai jamais eu l'occasion de le voir, je le salue et lui dis adieu. »

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