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Citations sur Grand Seigneur (67)

Dans la rue j’entends les mots du père de mon enfance :

Loulou Beille

Mon amour adoré

Brio

First class

Papa est là et la saleté s’en va

Le printemps sans amour n’est pas le printemps

et l’éclat de son rire que je reconnais maintenant dans le mien comme
s’il fallait commencer à voler des choses qui lui appartiennent, comme
s’il fallait les intégrer à soi, les absorber avant de les oublier. Les morts
ou presque morts vivent dans les vivants et meurent une seconde fois
quand les vivants, s’ils sont sans descendance, viennent à mourir à leur
tour.
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Au fond du jardin une petite porte donne sur la rue, si elle est ouverte,
je décide de l’emprunter tous les jours, je suis certaine qu’un lieu se
transforme selon l’entrée que l’on choisit pour y accéder, comme je suis
certaine que l’entrée en question agit sur les esprits ; si je prends l’entrée
principale, je sais à quoi m’en tenir, quel que soit le sens de mon
parcours, je me retrouve chambre 119. Pour la même raison, par la petite
porte, Jeanne-Garnier ne sera plus un mouroir, mais une pension, une
maison de repos, un espace intermédiaire semblable aux halls d’attente
des aéroports, un endroit que l’on quitte vivant, mais je m’aperçois
qu’elle est fermée à double tour.
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Le jardin de la maison médicale est construit en paliers, sur le portail
d’un enclos, un potager ou une roseraie, une plaque indique « Fondation
Bettencourt », on a disposé des chaises, des bancs, sous les arbres, le
personnel y prend un café, mange un sandwich, pousse un lit roulant, il
arrive que l’on sorte les malades et les expose au soleil, allongés sous le
ciel, emmaillotés dans leurs draps, le bras relié par des tuyaux à une
bonbonne transparente, je pense à des momies avant de rejoindre leur
sarcophage.
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Dans les couloirs, je croise des
hommes, des femmes en charge des familles. Quand l’on me demande si
je désire parler je refuse mais accepte la main sur mon épaule, le contact
intime avec des inconnus ne m’offusque pas dans cet espace qui est un
îlot d’humanité, unique dans sa forme ; nous sommes, avec mon père,
assignés à l’instant, à la minute, à la seconde, pendus à son souffle, le
présent avant si vivant est devenu tombeau, la vie s’interrompt dès que
l’on ne peut plus s’inscrire dans l’avenir et cet avenir est clos : aucune
image heureuse ni prophétique n’en émane.
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Le Sacré-Cœur est le niveau des condamnés, je l’ai tout de suite
compris, intégré, les chambres y sont peu nombreuses, certains patients
sont en cours de traitement aux étages élevés, ils seront peut-être sauvés
ou dégradés d’un niveau, plus on se rapproche de la terre, plus la mort
vous tend les bras. Ici on masse le corps, crème la peau, rase le visage de
mon père, on le prépare à l’indicible qui n’est pas la mort organique,
mais la disparition d’un être, de sa voix, de son odeur, de sa démarche, de
ses désirs, de son allure, de son intelligence que ni moi ni aucun membre
de ma famille ne pouvons nous représenter ou accepter ; les gestes sont
d’une grande douceur, d’une grande tendresse, pour les malades comme
pour ceux qui les accompagnent.
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Nous avons de la chance, me dit-on à l’évocation
de ce que nous traversons, Jeanne-Garnier est le « meilleur » endroit pour
mourir, j’en ai conscience, mon père lui ne comprend pas vraiment sa
chance d’être ici, je partage parfois son avis puisqu’il n’est pas chanceux
de se sentir partir, s’effacer, et il n’est pas chanceux d’assister à ce départ,
à cet effacement, mais oui c’est une chance que la douleur soit contenue,
atténuée, surveillée, plus qu’à l’hôpital, moins qu’il ne le faudrait, le
visage de mon père est crispé en continu, quand il s’exprime son discours
est flou, empêché. Un jour, arrivée la première dans sa chambre, notre
dialogue est le suivant : « Va rejoindre tes deux sœurs qui t’attendent »,
« C’est moi, papa, et je n’ai qu’une sœur, Djamila », « Mais qui es-tu
toi ? » C’est vrai, mon père a raison, qui je suis, moi ?
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Un jour la
médecin-cheffe me prévient de sa chute dans la nuit, mon père a voulu
s’enfuir, il s’est blessé au bras en tombant, il est resté au sol vingt
minutes avant le passage de l’interne de garde. La chute de mon père
devient plus importante que l’agonie, sa blessure (infime) plus
douloureuse à mes yeux que les assauts que mène sa maladie, les vingt
minutes plus longues que l’année qu’il vient de passer à renfort
d’examens, d’interventions, de fausses pistes avant le couperet final de la
palliation, ma peur de le retrouver plus grande comme si sa chute
renvoyait à une solitude supérieure à celle qui le sépare de moi, de nous.
Sa tentative d’évasion dit quelque chose, mon père nous en veut, se
révolte, nous accuse de le tenir prisonnier du pavillon des incurables ;
soit il a trouvé la force de quitter son lit, soit il est passé sous la barre de
protection, je remarque souvent ses deux jambes glissées entre les
barreaux, prêtes à entraîner le haut de son corps vers l’extérieur. Il se
plaint d’être resté quatre heures à terre avant d’être secouru, ce qui est
faux, je ne le contredis pas, chaque minute est éternelle depuis ici.
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La porte de Jeanne-Garnier franchie, le contrôle auprès de la
standardiste passé, j’ai peur de découvrir la chambre vide ou interdite,
j’imagine mon père transféré vers un autre service, en réanimation ou
recouvert d’un linceul avant d’être maquillé, coiffé, vêtu. Nous ne
rendons pas seulement visite à mon père, nous ne lui tenons pas
seulement compagnie, nous avons rendez-vous avec sa mort
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L’Amie face à moi me laisse lui redonner les détails les plus effrayants,
les plus étranges, regrettant son silence après la mort de son père quand
elle avait vingt-deux ans, silence qui aura grandi comme une ronce avant
qu’elle ne l’arrache avec le temps. M’ayant précédée, ma jumelle
adoptive adorée sait mon chemin, elle sait les gouffres et les ravins, les
espoirs et les déceptions, elle sait les bienfaits de la parole libre, sans
tabou, je revis par procuration un pan de son histoire tout en redoutant de
réactiver sous une forme inattendue une douleur en veille comme si le
chagrin changeait de masque au fur et à mesure du temps, naviguant
incognito pour ne pas en délivrer son porteur. La maladie, la mort
bâtissent une communauté, celle des Inconsolables qui se reconnaissent,
s’entraident, avancent main dans la main dans une obscurité étrangère à
celui que le sort n’a pas frappé.
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Mes larmes surviennent sous la douche, un orage de sanglots me fait
tressaillir et plier, je l’affronte nue, ma tête entre mes bras, sursaute
comme si l’on m’administrait des décharges électriques, mes crises sont
courtes et dues au fait de ne pas pleurer au moment où j’en éprouve le
besoin, je frotte ma peau, mes cheveux, recommence pour me défaire du
malheur que je crois composé d’atomes, d’épines, d’écorces et de
poussière, j’inspecte mes seins, mon ventre, mes aisselles, pétrifiée à
l’idée de découvrir une masse ou une tache anormale ; se greffe à la
maladie de mon père ma maladie imaginaire. Je dois faire un effort pour
réintégrer la vie hors de Jeanne-Garnier, je m’interdis tout relâchement,
toute distraction, je reste aux aguets, mon téléphone près de moi, je
redoute un appel qui me préviendrait du pire, appel qui n’existe pas mais
dont je crois entendre le signal telle une prescience ; ma seule ignorance
porte sur l’organisation des choses, je ne sais pas qui me préviendra.
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