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Critique de DETHYREPatricia


Découverte de cette histoire et de cet auteur il y a quelques mois au détour d'une brocante. C'est tout d'abord le thème qui m'a intéressée car je récupère depuis des années des témoignages de Justes, de rescapés de la Shoah, de Résistants, des essais, etc. Bien qu'il s'agisse d'un roman (manifestement inspiré de faits réels ? cf. l'introduction de l'auteur), ce livre a l'ambition de répondre à cette question : Être juif, c'est quoi ?

En effet, Pierre Bourgeade nous transporte dans l'histoire de trois générations de juifs d'une même famille (les Blum puis les Robineau, ex-Robinovich) confrontés à ce questionnement et à ce qui constitue leur appartenance (ou pas) à cette "race", à cette religion, à ses pratiques, à cette histoire (la Shoah) et à ses conséquences.

Rachel Blum (2e génération), seule survivante de sa famille de la rafle du Vel' d'Hiv', a dû son salut ce jour-là à une coqueluche soignée au dispensaire de l'hôtel de ville de Paris. Elle n'était donc pas dans l'appartement de ses parents lorsque la police française est venue les chercher. Dès lors, elle sera une enfant "trouvée" puis cachée au sein d'un couvent catholique de Seine-et-Marne. Sous la protection des religieuses, elle changera de prénom et sera initiée à la religion catholique qui, entre autres choses, prône le pardon envers ses ennemis. Puis, à la Libération, elle sera accueillie par des cousins, à Grenoble, y fera sa scolarité, avant d'être adoptée par la suite par d'autres parents à Paris où elle poursuivra des études supérieures. Des traditionnalistes juifs, très proches de ses parents, mais qui, eux, avaient vu le vent venir et s'étaient enfuis avant la rafle.

C'est face à la devanture d'un fleuriste de la rue des Rosiers que l'histoire personnelle de Rachel lui reviendra à la figure, perturbant à la fois son âme et son esprit.
Dès lors, elle n'aura de cesse de comprendre.

Comprendre pourquoi ses parents ont été raflés et pourquoi ses parents d'adoption ne l'ont pas été.
Comprendre, mais aussi voir de ses yeux : des photos de ses parents avant la déportation (son père, sa mère, son frère oubliés, car elle n'avait que trois ans à l'époque, et invisibilisés depuis) ; les lieux où ils habitaient et travaillaient rue des Rosiers à Paris ; ce fameux Vel'd'Hiv' (dont il ne reste rien) où entre le 16 et le 17 juillet 1942, 13.000 personnes dont un tiers d'enfants ont été parqués avant d'être déportés dans l'Est vers leur extermination programmée ; mais aussi le camp de Royallieu à Compiègne (dont il ne reste rien non plus) où ceux-ci ont discrètement transité avant de partir vers leur destination finale. Compiègne, où sans le savoir et sans l'avoir aucunement anticipé, Sarah se retrouve à vivre et à travailler en tant qu'enseignante d'allemand.

C'est aussi à Compiègne qu'elle rencontrera l'homme qui deviendra son mari, un médecin qu'elle était venue consulter pour un petit problème de santé. Là encore, le hasard (mais est-ce bien le hasard ?) lui fera découvrir, au travers de l'histoire familiale de son fiancé, une autre facette des juifs confrontés alors à la Shoah : ceux qui ont fait le choix de cacher officiellement leur origine et leur appartenance à cette religion sous un nom francisé les protégeant ainsi de futures persécutions.

De cette union naîtra un fils (3e génération) Adam que les études et le travail mèneront en Allemagne (là encore, est-bien un hasard ?) et au contact de jeunes allemands issus, eux aussi, de la troisième génération de leurs familles (ayant forcément connu et sans doute agi dans les rangs des nazis). Comment ces jeunes-là vivent-ils cette histoire-là ? On ne le sait pas trop, mais on verra comment lui, Adam, se retrouve confronté à certaines circonstances, et comment il réagira de façon à se réapproprier son identité et son histoire que sa mère et son père avaient contribué (volontairement ou par omission ?) à nier eux aussi et à lui cacher.

Ce livre de 122 pages est d'une force incroyable par sa concision et par l'impact des faits qui y sont relatés. Les mots sont simples, justes et graves. le ton n'est aucunement larmoyant. Il se veut avant tout éclairant et de nature à s'interroger sur ce que nous, lecteurs, nous aurions fait si nous avions été confrontés à la même situation :
- Si nous avions été des juifs, aurions-nous accepté de suivre tels des moutons sans se rebiffer et acceptant trop sagement notre destin de juifs persécutés ou aurions-nous tout fait pour échapper à l'inéluctable ?
- Aurions-nous, en tant que citoyens français non juifs, agi pour empêcher certains actes, pour cacher et protéger les juifs ?
- Aurions-nous contribué (en tant que juifs et non juifs) à informer les générations suivantes de ce qui avait été ? de ce qui avait été vécu par les parents partis en fumée ?
- Aurions-nous contribué à mettre au jour les responsabilités des uns et des autres ou aurions-nous été tentés par le négationnisme et l'oubli ?
- Enfin, aurions-nous pardonné ? aurions-nous fait en sorte de se souvenir et de faire perdurer ce souvenir ? ou encore, aurions-nous eu la volonté d'activer le bras armé de la vengeance ?

Voici toutes les interrogations que génère, en filigrane, la lecture de ces quelques pages. Un petit livre précieux que je recommande à qui souhaite s'informer et ne pas oublier ce qui a été.
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