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Critique de berni_29


Nicolas Bouvier est un écrivain voyageur, - le fut plutôt, car il s'en est allé pour un voyage sans retour, enfin c'est ce qu'on dit, emportant j'espère là-bas avec lui son stylo et son cahier à spirale… Nicolas Bouvier nous a tant appris sur l'usage du monde, une façon de voyager avec curiosité et élégance.
L'usage du monde est un de ces rares récits de voyage qui a su me procurer des ailes. Les ailes servent à partir, mais aussi à revenir…
Chronique japonaise pourrait avoir la même vertu. Ce que j'ai aimé dans ce voyage, c'est le Japon non pas selon les Japonais, mais selon Nicolas Bouvier.
J'ai voyagé dans ses pas, convoquant la complexité d'un archipel pétri d'histoires et de mythes, captant la magie des instants volés, l'aubaine des chemins, dévoilant la musique des détours, restituant les odeurs de l'air, de l'apesanteur aussi, le contour d'un visage, le reflet d'un regard, les mots appris au gré des rencontres et des connivences ici et là…
C'est l'histoire d'un voyage mêlant le récit de ses trois séjours au pays du soleil levant avec quelques épisodes fondateurs de son histoire. Pourtant ce n'est pas un livre historique et le récit de voyage ne serait rien sans cette passerelle jetée vers l'âme fondatrice de l'archipel. Nicolas Bouvier est un passeur, un voyageur étonné, un écrivain étonnant par sa manière de nous restituer le vertige de ses pas, son errance, son émotion…
L'histoire du Japon nous parle d'un pays qui fut longtemps une terre d'accès difficile. Sans doute faut-il y voir un trait commun à beaucoup d'îles lointaines et de ses habitants. L'histoire du Japon est faite d'ombres et de lumières, de douceur et de violence. Les persécutions, les guerres, la spiritualité, l'odeurs des fleurs de cerisiers, ont façonné l'âme du Japon et c'est ce qui fascine Nicolas Bouvier dans son périple.
Chronique japonaise regroupe plusieurs textes écrits entre 1955 et 1970. Cela fait un bail, me direz-vous, le Japon a dû changer depuis ce temps-là. Sans doute oui, mais le Japon de Nicolas Bouvier restera éternel puisque c'est le sien…
J'ai aimé sa manière de voyager vers nous, lecteurs, dans ce livre totalement bancal, imparfait, mais si riche et si attachant. Parlant des autres dont il nous raconte un peu leur histoire, il nous rend ses personnages quotidiens si familiers. Ce sont des scènes de rues, des scènes de vie, quotidiennes et inoubliables. Aller boire du saké chez deux Coréennes, la mère et la fille… Nous parler d'un petit temple bouddhiste à la campagne où le bonze sommeille sur sa bouteille de bière. Voir un spectacle de no dans une école. « Visages de femmes pleins d'espièglerie, de rides et de sérénité ». Nous dire que le no est plus lent que tout ce que le mot lenteur suggère à l'Occidental… Que dirait-il aujourd'hui, Nicolas Bouvier de cette lenteur dont nous avons tant besoin ?
Le no, ce sont aussi des masques, c'est une manière de frapper le tambour, c'est le trait fin qui dessine la frontière entre deux mondes. Peut-être que l'oeuvre de Nicolas Bouvier se résume à cette grâce en apesanteur ?
Tout comme j'aime tant la littérature japonaise pour ses rivages, pour cela aussi.
Sans peut-être l'imaginer un seul instant, sait-t-il qu'alors déjà il nous parle de lui-même ? Et c'est ce qui le rend si attachant dans ce récit humble et riche.
De temps en temps, tel un petit Poucet rêveur, Nicolas Bouvier égrène sur son chemin des haïkus du moine-poète Basho.

« de temps en temps
Les nuages nous reposent
De tant regarder la lune. »

Ou bien encore :

« Mes larmes grésillent
En éteignant
Les braises. »

Loin des clichés et des représentations que nous pouvons nous faire de cette terre japonaise, Nicolas Bouvier nous en livre son âme dans le saisissement de ses contrastes et de ses contradictions. C'est un tableau impressionniste plongé dans une modernité déjà fulgurante.
Nicolas Bouvier nous entraîne du nord au sud, d'est en ouest. Kyoto, Hokkaïdo, Kagoshima, Oshiamambe, Tokyo…
Et puis il y a ce village voisin d'un volcan où j'ai apprécié à mon tour de me glisser dans les sources chaudes qu'on appelle onsen…
Nicolas Bouvier traverse des lieux, traverse les pages, nous traverse à son tour, laissant du sel de la mer de Chine ou du Pacifique sur nos paupières.
Au milieu du récit, Nicolas Bouvier nous livre cette phrase sidérante par son intemporalité :
« Si l'on ne peut plus guère progresser aujourd'hui dans l'art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l'art de se comprendre. »
Comme tout récit de voyage, celui-ci est inachevé puisqu'il comporte en lui cette part béante de tous les séjours que n'aura pas fait l'auteur par la suite…
Sait-t-il à ce moment-là qu'un jour il mourra, nous laissant désormais orphelins de nos ailes ?

« La mission de l'homme
sur la terre est
de se souvenir »
Henry Miller
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