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Critique de julienrilzel


Peu avant la publication de la Dernière Nuit, Emmanuel Bove écrivait, à l'orée de la Seconde Guerre, que « c'est au moment où je suis arrivé au milieu de ma vie que je m'aperçois que je n'ai rien, que je me suis toujours trompé, que j'ai toujours agi comme quelqu'un qui croit être dans la bonne voie alors que j'étais dans l'erreur. Tout craque, et voilà ce que je suis aujourd'hui. Je n'ai pas d'ami, pas de fortune, pas de situation ».

Comme il est précisé au sujet de ces quelques lignes dans Emmanuel Bove, la vie comme une ombre (de Raymond Cousse et Jean-Luc Bitton, éditions le Castor Astral, 366p), l'auteur portait une vision noire et pessimiste sur le Monde, sur lui-même, mais paraissait tirer en dépit de cette pression sociale et au sujet de sa solitude, un certain soulagement. Il éprouvait semblablement une joie à être libre, à être détaché de tout. C'est donc en mars 1939 que paraît chez Gallimard un recueil composé de six nouvelles, ouvert par un roman intitulé La Dernière Nuit. Ce dernier a été réédité par les éditions le Castor Astral en octobre 2017, dont l'éditeur dira que c'est « l'un des plus grands moments de bravoure littéraire d'Emmanuel Bove ».

Pourtant, et ce contrairement à ses autres romans ou nouvelles parus jusque lors, l'auteur optera ici pour une fin plus sombre et plus tragique, mais toujours aussi dramatique voire théâtrale. « Notre héros », comme le qualifiera l'auteur au cours de ce roman, est un jeune homme prénommé Arnold. Et Arnold, lui, a commis un crime. Ce crime est grave. Et il souhaite s'en repentir.

Débute alors une quête dans laquelle l'archétype du héros bovien cherchera le pardon et la compréhension, dans un premier temps, auprès de ses proches. Mais ils semblent tous se défiler dès l'instant où il laissera apparaître la beauté de ses sentiments, la profondeur de ses regrets, le laissant seul et sans issue, incapable de se justifier. Dans sa naïveté caractéristique de la jeunesse – et dont la vertu, semble-t-il, s'émousse toujours prématurément – il entreprendra de commettre une belle action, peu en importe la nature, lui permettant de faire oublier ses péchés aux yeux de tous. Cette idée est la meilleure qu'il n'ait jamais eue. Et c'est certain, cela fonctionnera, la justice ne pourra faire abstraction de sa grandeur lorsqu'il aura sauvé une vie, ou aidé une âme en peine, ou encore condamné un péché. Tous reviendront et l'acclameront, même. Quand aux policiers, dont il tente de s'échapper car s'il n'a pas le courage de mourir, il a encore moins celui d'être incarcéré, ils sont « malgré tout toujours un peu esclaves de leur fonction », et vivent, cette nuit, seulement pour le traquer.

Le jeune homme vadrouillera alors toute la nuit dans les rues de Paris à la merci du jugement des autres qui, autrefois, le respectaient et l'appréciaient. Cette nuit sera longue et, surtout, elle sera la dernière. Car entre la mort et la prison, quelle différence ? Ce garçon sans père aimerait seulement qu'on l'écoute avec attention, qu'on lui accorde la chance de justifier ses torts et, ainsi, s'affranchir de son malencontreux écart. Car il est persuadé d'être bon et soucieux de son prochain. Il y a-t-il vraiment crime quand il n'y a pas de préméditation ?, se demande-t-il. Les faits ne sont pas toujours preuve d'affreux desseins.

Avec une narration toujours incroyablement juste et pertinente, dotée d'un fin sens de l'observation de l'être et doublée d'une exacte critique de soi, Emmanuel Bove nous livre ici un texte aux tirades si théâtrales qu'elles relèvent presque du surnaturel. Pourtant, nous sommes irrémédiablement ramenés à la réalité, à la fois par le détail touchant permettant l'empathie et l'immersion, ou alors par l'émouvante crainte qu'ont les êtres à demeurer seuls, se traduisant en une cruauté qui effraie l'auteur au plus haut point : celle où nous avons inlassablement tort, ou raison, mais ne sommes jamais réellement considérés ni perçus en tant que personne, en tant que complexe émotif méritant d'être entendu. Et quoiqu'il en soit, semble-t-il dire, les coupables finiront toujours par être inculpés. Mais les autres, alors, en sont-ils pour autant les détenteurs impérieux de la morale ? Car si nous jugeons toujours « nos semblables d'après nous-mêmes », de quoi d'autre est fait le Monde sinon d'une multitude d'êtres solitaires, arpentant les villes le doigt pointé vers les autres dans le seul but de s'oublier soi-même ?
Lien : https://julienrilzel.wordpre..
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