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Critique de FridomaDenis


L'amour est le plus formidable des illusionnistes. Il vous fait rencontrer un joli coeur, mais c'est vers un autre qu'il vous dirige. Davantage lorsque l'on pénètre l'univers de la haute société, avec ses charmes et ses atouts, mais aussi ses dangers. Bien sûr, comment ne pas se laisser séduire par l'apparition soudaine de Colette, Marcel Proust, de leur suite, au gré des soirées réglementées par l'entrisme fait de paillette et d'intelligence, quand soi-même on vit une existence réglée par la tradition patriarcale. Raison de plus lorsque la « proie » est originaire de Bretagne, jeune et jolie mariée à un Antoine Beauregard dont la vertu première n'a d'égale que son ego d'homme de la haute.

Ainsi, commence le roman. le siècle de Victor Hugo à peine achevé, déjà on rêve le XX comme le renouveau des lumières. C'est en effet, dans ce contexte, que Valentine Beauregard, grâce aux connaissances de son mari, découvre les salons littéraires où l'on dissèque autant les causes de tant de siècles de soumission de la femme que l'on disserte sur comment s'en affranchir. Et je dois dire, j'ai rarement lu si bien écrit le combat de ces intellectuelles, leur façon quasi éhontée de s'instruire entre elles, de s'enrichir, de se libérer à travers leur sensualité. Bien sûr, demeure ce qui peut s'apparenter à un « ameublement de style » chez la plupart des hôtes. Les velours sont toujours suspendus aux fenêtres, les toilettes toujours sophistiquées, les empreintes d'une mode passée et précieuse encore là. Une sensation de jouer aux funambules des âmes libres d'autant moins caricaturale que l'auteure, avec brio, joue sur l'équilibre des rapports avec beaucoup d'amour, un grain de jalousie, le tout saupoudré d'une analyse sociétale intelligente. À l'instar de Valentine croyant encore à l'interaction entre les riches et les pauvres. Sa relation avec la concierge en est l'illustration parfaite. Peut-être même que Valentine puise sa force dans ces relations, sa manière à elle de ne pas se déshumaniser. Quand d'autres femmes de pouvoir finissent par se perdre à force d'ignorer de quoi est fait le monde. En clair, on entre tellement dans son histoire que Valentine nous prend la main, sans la desserrer, jusqu'à la dernière page. de la sorte, il est vrai, que l'on a son coeur à elle sur le nôtre, le nôtre qui s'affole quand le sien est aimanté par cette énigmatique Natalie Clifford-Barney, sorte de vampe affriolante, Américaine francophile et femme de lettres, un peu l'âme-miroir de Valentine. Au début, certes, s'agit-il d'une simple amitié, mais très vite, grâce à l'écriture subtile de l'auteure, cela devient un amour incandescent, impossible à vivre pour cet Antoine alors que lui-même fricote avec ses « poules ». C'est d'ailleurs une autre constante du livre d'Emmanuelle de Boysson, cette manière idéale de retranscrire les affres d'un couple à la dérive, corseté par un système auquel pourtant un grand nombre de jeunes gens rêvent. À l'image de la virginité sentimentale de Valentine qui nous cueille dès le début. On se prend si fort à l'aimer que, à mesure qu'elle avance sur le fil ténu de son existence, on aimerait lui dire de faire attention, à l'image de Colette, dans un rôle que je ne lui connaissais pas. Elle qui a souvent l'image d'un « monstre calculateur », voici qu'elle distille de la douceur dans cette âme enivrée par celle de l'Américaine.

L'autre vertu de ce livre, c'est de nous faire partager les relations qu'entretenaient tous ces grands artistes. Comment ils se servaient de leurs pouvoirs ou non pour toujours atteindre le firmament de la reconnaissance. Ainsi, nous découvrons leurs faiblesses, leurs inimités, mais aussi la manière avec laquelle ils se font publier ou pas. Et que dire du traitement fait à l'actualité de cette époque. de l'affaire Dreyfus à la guerre 14/18, en passant par la grippe espagnole, l'auteure fait montre d'une formidable connaissance de ces sujets. Ceci dit, et avant toute chose, « Je ne vis que pour toi » est bel et bien une histoire d'amour. Un témoignage fascinant sur comment ce sentiment s'immisce dans une âme pure, va lui faire perdre raison, jusqu'à ce que, une fois les épreuves surmontées, Valentine s'affranchisse de son rôle de soumise. La preuve que croire au romantisme ne nous fait pas obligatoirement sombrer. Ce livre est même celui de la guérison des rêves perdus, dans une France qui se voulait éclairante, mais qui, par bien des aspects, s'est ternie au fil des ratés de notre siècle. Reste que Valentine porte en elle le V de la victoire, a le parfait profil des femmes modernes.

« Je ne vis que pour toi », ou le talent de savoir écrire l'amour.
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