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Critique de Tempsdelecture


L'auteure, Emmanuelle de Boysson, a un arbre généalogique assez charpenté, et elle-même a son actif d'un cv bien fourni: elle baigne dans le monde littéraire parisien, elle est cofondatrice du Prix de la Closerie des Lilas, qui récompense chaque année une romancière de langue française. Déjà l'auteure d'une oeuvre prolifique, l'univers des femmes, de la littérature féminine au lesbianisme, dont il est question ici, occupe une place essentielle de son oeuvre.

La vie de Valentine Beauregard apparaît d'abord comme celle de n'importe quelle provinciale qui a eu la chance de faire un beau mariage: une jeune femme émerveillée et fière, impressionnée et impressionnable, agréable, épouse attentive et soumise. Fort heureusement, cette jeune épouse bien propre sur elle évolue, elle s'enhardit un peu au contact d'un autre monde, elle se dévergonde, elle sort des tranchées. C'est tout juste à ce moment-là que le roman prend véritablement naissance, à mes yeux au moins. J'ai assisté avec plaisir à l'évolution de la jeune Valentine, qui engoncée dans sa fierté toute neuve de jeune parisienne collet-montée, s'ouvre à des horizons dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Un monde de plaisirs charnels, d'une jouissance inconnue, de sensualité mais aussi de beautés vénéneuses, d'amours trompeuses, d'aventures éphémères. Emmanuelle de Boysson a su faire évoluer notre jeune et timorée bretonne en une maîtresse avide et passionnée. Elle a su décrire les affres de l'amour saphique, dans le meilleur, mais dans le laid, dans la laideur du mensonge, dans les excès de la passion, et la souffrance de l'amour sans retour. La jeune épouse devient femme sous les yeux de ses compagnes d'écriture, sous les mains d'une compagne aguerrie, sise 20 rue Jacob. Une plongée à travers les cercles intellectuels parisiens, les salons littéraires, où se bousculent tous les noms de la littérature début de siècle, où règnent en maîtres Colette, Proust et bien d'autres, où les coups bas des uns ricochent sur les piques fielleuses des autres.

Le dénouement reste encore mon passage préféré du roman, où l'innocence des débuts laisse place au réalisme d'une désillusion amère, le paradis de Sappho finit par virer à l'aigreur née de la jalousie et de l'égoïsme, et aux vulgaires règlements de compte, loin des jeux sensuels et de la tendresse des débuts. Sur Lesbos, les idylles ont tourné aux vulgaires petites rancoeurs amoureuses de l'Île Blanche, les sentiments de chacune sont finalement revenus de ce haut lieu divin, qu'elles s'efforçaient de bâtir à travers leurs petites escapades littéraires et rencontres privilégiées, pour s'ancrer dans une réalité froide et brute. C'est, finalement, cette Valentine-là, que j'ai le plus estimée.

À ma grande surprise, les notes de fin m'ont appris qu'une des protagonistes du roman, Nathalie Clifford Barney, a réellement existé. À la lecture de sa biographie, il s'avère que l'auteure s'est largement inspirée de cette femme de lettres américaine de caractère aux hautes aspirations littéraires. J'avoue avoir été prise d'intérêt bien plus par sa personnalité à elle, plus complexe et sombre, que celle de Valentine. A la lecture de sa biographie, sur Wikipedia, sa vie apparaît d'autant plus extraordinaire, au delà de son orientation sexuelle qui finalement importe peu, qu'elle a été celle qui a redonné un élan à la littérature par la création de ses salons littéraires les « vendredis » fréquentés par les plus grands noms de la vie littéraire de l'époque, femmes autant qu'hommes.

En revanche, je m'attendais à un récit bien composé, au style délicat et profond. Et j'ai trouvé tout le contraire, un style très léger, peu crédible et surtout très superficiel, parfois trop versé dans le lyrisme, et qui m'a profondément agacé dès la trentième page. Je pense entre autres à l'usage répétitif des crispantes interjections « ma belle » lors des échanges épistolaires ou verbaux. J'ai parfois eu l'impression de découvrir un cercle de jeunes femmes écervelées, très précieuses, à l'égo surgonflé par la conscience de leur valeur, qui se servent de la littérature de passe-temps comme un autre, au milieu de jeunes mondaines totalement accaparées par l'organisation de garden-partys.

Même si la qualité du récit s'améliore au fur et à mesure du récit, je n'ai pas accroché au style de l'auteure, qui a tendance à faire des personnages un peu trop lisses. Toutefois, ce roman aborde le lesbianisme de front, il est au coeur même du roman, à une époque ou c'était encore une honte et un scandale. La femme est à l'honneur, quelquefois sous ses angles les moins nobles, néanmoins il reste une belle histoire d'émancipation féminine.


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