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Critique de Darkcook


Le Co-Vid et ses librairies ou rayons livres fermés "non-essentiels" m'avaient décidé à enfin m'attaquer à ce classique de SF, genre que je ne lis que trop peu souvent, mais dont le pitch est tant connu... Fahrenheit 451 prend en effet place dans un futur indéterminé où les pompiers brûlent les livres car la lecture est considérée comme une activité fantasque qui sème le trouble et le désordre. le pompier Guy Montag, dans une trajectoire un peu similaire au Winston Smith de 1984, se détachera progressivement de cet univers pour vouloir se rebeller contre lui. Je vais essayer de ne pas entièrement spoiler, mais ça va être dur...

L'on nous présente Montag par étapes : Pompier qui semble jouir du feu qu'il met aux maisons et aux livres, marié à une femme apathique suicidaire, il rencontre la jeune Clarisse, rêveuse dont il paraît tomber sous le charme, et qui incarne tout ce qui a disparu dans l'humanité du roman : L'hésitation, la réflexion, la contemplation, pour laisser place à un vacarme et à une fureur permanents. En effet, comme pendant au symbole des livres brûlés et interdits, la société du roman se défoule, se déverse inlassablement dans des distractions d'une grande violence. Écrans géants envahissent extérieurs et intérieurs avec pubs, conversations plus ou moins artificielles, les gens roulent très vite, s'adonnent à des attractions dangereuses, comme s'ils s'abandonnaient dans un oubli perpétuel de brouhaha pour ne pas voir l'atrocité de leur mode de vie. D'obscures guerres ou annonces de guerres sont relatées aux informations, des avions à réactions survolent le monde... Millie, l'épouse de Montag, est ainsi en perpétuelle conversation avec "la famille", personnages qui s'affichent dans les écrans géants recouvrant trois murs de son appartement et, comme d'autres personnages, est rattrapée par l'angoisse lorsque le silence et la solitude se font. Cette adoration du bruit, de l'agitation, revers de la pièce, est aussi passionnante que les autodafés de Fahrenheit, et l'on peut évidemment reconnaître les dérives qui nous ont rattrapés depuis quelques années.

Montag, donc, au contact de la jeune Clarisse, semble sortir peu à peu de sa torpeur pyromane. Il est fait allusion au contenu caché d'une bouche d'aération, qui sera décisif plus tard. En réalité, la rebellion de Montag est déjà en marche depuis longtemps mais l'on ne s'en rend pas compte de suite. Je ne m'attendais pas à ce que Clarisse soit si vite évacuée du paysage, mais Bradbury introduit Faber (faut-il y voir un clin d'oeil à l'édition?), mentor qui aidera Montag dès la deuxième partie, après son trauma face à une femme préférant s'immoler avec ses livres face aux pompiers. La troisième partie "L'Éclat de la flamme" est véritablement extraordinaire et l'action ne s'arrête plus. L'écriture poétique de Bradbury, avec des comparaisons et métaphores de la nature récurrentes, rare en SF du moins dans mes lectures, prend une toute autre dimension et s'élève véritablement dans un style d'auteur avec une très agréable traduction à la clé (Jacques Chambon et Henri Robillot), alors que jusque-là, on pouvait un peu singer ses tics. La dernière partie réhausse grandement le roman pour moi, même si je le trouvais déjà à la hauteur de sa réputation et intéressant. J'ai beaucoup apprécié la fin que je tairai. Au niveau de l'écriture, je me permets de rajouter une mention spéciale au passage où Montag imagine la mort de Millie dans le bombardement de son motel. La comparaison par Granger entre l'humanité et un phénix est plutôt inspirée...

Je ne peux faire l'impasse sur un passage des plus marquants dans le roman, lorsque le Capitaine Beatty, chef des pompiers et principal antagoniste, dresse un topo historique racontant comment le monde en est arrivé à cette dictature anti-lecture. Ce qui est effrayant et hallucinant est encore une fois que cela a été écrit en 1953 et qu'on en voit des traces aujourd'hui. le politiquement correct, la censure, le désaccord des uns, ne pas gêner, ne pas offenser telle ou telle communauté, jouent leur rôle dans le bûcher généralisé progressif et progressiste. Un, puis deux, trois, puis tout. Il y a aussi les livres résumés en "digests", l'information à quelques phrases, un nivellement par le bas généralisé, une disparition de toutes les valeurs censées générer inégalités et conflits, dont l'éducation, la discipline, pour une uniformisation, un aplatissement de tout censé aboutir à une humanité pacifiée débarrassée de toute préoccupation génératrice de désordre et de controverse, tournée vers le travail manuel, l'activité mais certainement pas la réflexion. le discours de Beatty est plus que jamais pertinent en 2021 et l'oeuvre de Bradbury est à brandir à la face de bien des gens...
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