L'Heure des femmes

«  Ça fait bien longtemps qu’on ne m’accoste plus dans la rue.
Que je n’ai plus à subir les sifflets des ouvriers, les murmures des hommes qui vous frôlent de trop près, les inconnus qui vous proposent un verre comme si c’était la meilleure façon de parvenir à leurs fins.

Une femme a - t- elle accepté de céder aux avances d’un dragueur de rue? »

- Vous êtes un peu l'héritière de Beauvoir !
- Détrompez-vous, je n'ai rien à voir avec elle, si ce n'est l'intérêt que nous portons toutes les deux à la cause féminine. Mais contrairement au Castor, je ne considère pas que le mariage soit une aliénation, ni la maternité un naufrage. En revanche, ce que n'a pas réussi à saisir cette femme intelligente - hélas ignorante des réalités qui animent la société hors du petit cercle germanopratin -, c'est la double peine des femmes de notre époque. Mères, elles le sont, le sont, assurément. Mais, contrairement à leurs propres génitrices qui se mouraient d'ennui au foyer, elles travaillent. Et continuent de faire tourner la maison. Qui parle de cela, aujourd'hui ? Qui s'adresse à ces femmes soumises à des journées à rallonge, à des bonshommes qui ne fichent pas grand-chose à la maison et auxquels il faut bien servir à souper lorsqu ils rentrent à peine plus tard qu'elles le soir? Qui les écoute, qui les comprend? Personne! Ah ça, c'est bien beau de fustiger le patriarcat, mais avant cela, il faut tenir compte des réalités de son époque ! Sans compter la contraception.

- Vous ne trouvez pas bizarre que la voix des femmes se soit peu à peu tue ?
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Je ne sais pas. Avec MeToo, toutes ces accusations, tous ces actes qui attestent de la violence des hommes, d'inceste, on a l'impression que chacun redécouvre ce qui était déjà là il y a cinquante ans, Comment est-ce possible ?
Paul m'observe avec curiosité. Il se tait. Peut-être parce que, comme moi, il n'a pas de réponse à ça. Au fait qu'après cette période de sursaut, on ait voulu refermer la porte des foyers. Les femmes avaient obtenu la contraception, le droit d'avorter, celui de travailler. Elles avaient eu ce qu'elles voulaient, elles n'allaient pas continuer d'emmerder le monde. Maintenant, elles pouvaient la fermer.

Menie referme doucement la porte. Dans la salle de rédaction, ça grouille de jeunes femmes extraordinaires. Grandes, belles, les cheveux joliment attachés. Elles portent des chaussures vernies à fines brides, ou des bottes, et des robes courtes bien taillées qui dévoilent leurs jambes énergiques. Elles parlent fort, rient beaucoup. Menie sourit à quelques-unes, ferme les yeux. Dire qu'elle a failli rater ça. Cette déflagration.

Cette Beauvoir est bien gentille à fustiger le mariage, la famille, son aliénation. Mais, c’est une extrémiste ! Les femmes sont mariées, c'est une réalité. Tout le monde n'a pas le loisir de passer ses journées au Café de Flore. Elles élèvent leurs enfants et travaillent. Comment réussir tout ça en même temps ?

Mais non, les femmes peuvent aussi prendre du plaisir, participer à cette communion des corps qui ne doit plus être une corvée supplémentaire au milieu des tâches ménagères. Il était temps qu’on parle de cette réalité-là, du sexe, de ses conséquences.

- Menie ? Il se passe quelque chose de grand, vous savez. De très grand.
- Oui, elles sont en train de se mettre debout, (...)

On ne se déleste jamais complètement de ses premières années. On édifie sagement, ou on bataille contre les modèles de son enfance. Mais ces derniers restent pour toujours les fantômes de celles que nous devenons.

- C'est un péché, ce que vous faites? demanda-telle
- Quoi donc ?
- De parler de ce garçon. Maman dit que tout ce qui nous éloigne du Bon Dieu est péché. Je crois que je suis une grande pécheresse, parce qu'à part le dimanche moi, le Bon Dieu, je m'en passe bien, ajoute-t-elle crânement.
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- Voila ! Je suis tombée sur une vidéo, l'autre soir. Un truc sur cette femme, que je ne connaissais pas, Elle a fait une émission dans les années 1970. À la radio. Menie Grégoire. Ça te dit quelque chose?
- Ah oui...
Je mens. Cormme chaque fois qu'on me parle de quelqu'un ou quelque chose que je ne connais pas, mais dont il semble que je devrais me souvenir.
- Une sacrée bonne femme. Qui a donné la parole à beaucoup d'autres en lançant son émission de libre antenne. Ça a été un gros truc, à l'époque. Je ne comprends pas que personne n'en parle.