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Critique de OuvrezLesGuillemets


Bouleversant, révoltant, tragique, « Enterre mon coeur à Wounded Knee » est un récit profondément marquant dans lequel le mythe d'une « Conquête de l'Ouest » héroïque et romanesque vole en éclats.

« Je n'étais pas conscient alors de tout ce qui avait disparu. À présent, quand je regarde en arrière du haut de la colline de ma vieillesse, je vois encore les femmes et les enfants massacrés, leurs corps entassés le long du ruisseau, aussi clairement que je les voyais quand mes yeux étaient encore jeunes. Et je vois bien que quelque chose d'autre est mort dans la boue rougie par le sang, quelque chose qu'on a enterré sous la neige. Là-bas est mort le rêve d'un peuple. C'était un beau rêve. (…) le cercle de la nation est brisé, ses morceaux éparpillés. Il n'y a plus de centre, et l'arbre sacré est mort. »
Black Elk

Historien américain, Dee Brown écrit ce livre en 1970 avec pour objectif de « reconstituer un récit de la conquête de l'ouest telle que les victimes la vécurent », en se focalisant sur la période 1860-1890. Il va pour cela s'appuyer sur de nombreuses sources écrites et orales : compte-rendu de conseils avec les représentants du gouvernement, témoignages d'amérindiens, articles de journaux, interviews des membres de différentes tribus…

C'est documenté, détaillé, précis et pourtant le récit reste très vivant notamment grâce aux voix de Roman Nose, Black Kettle, Red Cloud, Sitting Bull, Crazy Horse, Geronimo, Chef Joseph, Standing Bear, Captain Jack, Cochise, et tant d'autres. Des témoignages émouvants et saisissants qui apportent beaucoup d'humanité à un récit révoltant et infiniment triste.
A travers la parole amérindienne, c'est une toute autre perspective qui nous est présentée, celle d'une conquête à marche forcée, implacable et impitoyable.

Le récit se fait chronologiquement. Il commence en 1860 par la longue marche des navajos pour se terminer par le massacre de Wounded Knee de 1890 et qui pour beaucoup marque la fin des guerres indiennes.
Entre ces deux dates, la longue liste des traités signés entre le gouvernement et les amérindiens promettant « une frontière indienne permanente », « une paix perpétuelle » et autres belles formules, et qui seront pourtant systématiquement brisés par les colons.

« La conquête de l'ouest » apparait comme une machine infernale, alimentée uniquement par la recherche du seul profit et ce quel qu'en soit le coût humain et écologique mais que les américains justifieront au nom d'une « mission divine », la « Destinée Manifeste ».
Les tribus amérindiennes seront ainsi déplacées à travers le pays dans des conditions inhumaines, parquées dans des réserves, pour permettre aux colons de s'installer sur les terres prospères ou riches en or ; chaque découverte d'un nouveau gisement entrainant inéluctablement la remise en cause d'un traité et des frontières d'une réserve indienne.

Je découvre à cette occasion que l'éradication des troupeaux de bisons des grandes plaines servaient aussi cette entreprise de colonisation totale, en privant les tribus amérindiennes de leur chasse et donc de leur moyen de subsistance.

Dee Brown n'omet pas les conflits qui ont pu opposer certaines tribus ou qui ont eu lieu au sein de certaines d'entre elles. Parfois liés à des rivalités antérieures à l'arrivée des colons, elles sont aussi le résultat de désaccords sur les stratégies de résistance face à l'avancée de la colonisation. Tiraillés entre l'espoir de pouvoir vivre en paix et le désir de conserver leurs terres ancestrales, tous n'étaient pas d'accord sur la conduite à tenir. Des dissensions qui bien sûr arrangeaient bien la politique de conquête américaine.

Le livre de Dee Brown donne la voix aux amérindiens dans une Histoire qui était avant entièrement écrite par et pour les américains, il permet de poser un regard plus équilibré sur la manière dont s'est déroulée la « Conquête de l'Ouest ».

En se focalisant sur la tragédie de la fin des guerres indiennes, il nous laisse cependant avec le sentiment terrible - mais erroné - d'une disparition de la civilisation autochtone d'Amérique du Nord après Wounded Knee. Près de 50 ans plus tard, l'écrivain David Treuer, Ojibwé originaire de la réserve de Leech Lake, a souhaité « traiter, avec force et sans honte, de la vie des Indiens et non de la mort des Indiens » dans son ouvrage « Notre coeur bat à Wounded Knee ». Un livre pour rappeler que les nations indiennes n'ont pas disparu, elles ont su s'adapter tout en retrouvant progressivement leurs racines et leur culture.
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