Il existe en Provence toute une multitude de village agrippés aux reins d'une roche et dont les maisons hautes et frêles se pressent le long de torrentueuses ruelles. Il en est d'autres nichés dans l'étroit contrefort d'un mamelon boisé, d'autres encore paisiblement enroulés autour d'un vieux château ou d'un clocher.
Mon village, lui, s'étale si langoureusement sur une cassure faite à la montagne qu'il semble, tel un chat, se prélasser au bord d'un vaste palier.
En vérité, je n’étais faite que de vide et d’absence, mais aussi de violents sursauts de chagrin, d’évocations inracontables, noyée dans un bain apparemment immobile mais dont les attaques inattendues creusaient douloureusement ma poitrine. J’étais une enfant abandonnée dans un château jadis enchanté et dans lequel j’errais à présent pleine de souvenirs, à leur recherche éperdue. Je parcourais seule le jardin beau comme le paradis pour le fuir soudain lorsque, au détour d’un sentier, les ombres de mon frère et de ma sœur apparaissaient. Alors je traversais en courant le hall de marbre et de pierre, j’escaladais comme une flamme le grand escalier et je m’enfermais dans ma chambre, où, peu après, l’une des servantes venait me chercher.
Vivre en Provence, en province, était pour elle une punition infinie.
Pour arriver à ses fins, pas même doté du titre de bachelier, il choisit d’entrer dans la société en utilisant les armes qu’il possédait : un esprit rusé, un physique sympathique et une grande duplicité. Il ne demanda jamais rien, ne pria personne ; il s’imposa avec opiniâtreté. Sa bonhomie bravait la circonspection des hommes tandis que ses compliments charmaient les femmes et faisaient d’elles ses alliées.
Mon père, hélas, était un brave homme pour qui une telle fourberie n’existait pas. Pour lui, Fabien Lestrade était le frère qu’il n’avait pas eu, un compagnon fidèle dont l’amitié chaleureuse ne saurait être, au grand jamais, une feinte pour approcher de ses biens ou de sa jolie compagne. Une si extravagante et abjecte hypothèse ne l’avait jamais effleuré.
Mes aînés avaient hérité de notre mère l’amour de tout ce qui est fragile et, donc, ils me pouponnaient en se jalousant mes caresses et mes baisers. J’étais leur jouet, l’objet précieux qu’ils se prêtaient et qu’ils se reprenaient. Je n’avais qu’à dire un mot, qu’à plisser douloureusement les paupières, qu’à bouder un instant pour qu’aussitôt ils surenchérissent de cris de remords et de gestes d’amour.