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Critique de Darkcook


Après une longue succession de lectures de classiques géniaux du XIXe siècle en grande majorité pendant un an ou deux, je voulais revenir au langage familier, à l'américain, au crade, à l'humour, à la saleté, au corporel, au sensuel... J'ai hésité entre ce cher Ellroy et Bukowski, dont je n'avais lu que Pulp il y a fort longtemps. J'ai voulu réparer cette erreur avec Au Sud de Nulle Part, recueil de nouvelles qui allait pouvoir être une lecture compatible avec ma mission toujours plus chronophage dans l'enseignement.

Comme je m'y attendais, je me suis bien amusé avec cette collection de nouvelles paillardes et éthyliques, où le double de Buko, qu'il se fasse appeler Henry Chinaski ou Hank, erre dans des piaules sordides de la Californie, alterne les boulots aussi absurdes et bas qu'éreintants, les conquêtes loufoques, les piécettes dépensées en gnôle, les paris aux courses de chevaux, les problèmes de santé les plus cracras et rabelaisiens... Bukowski, c'est le fan américain de Céline, transformé en Gainsbourg, qui crache sur l'humanité comme Bardamu, mais en se réfugiant chez les femmes et la bière... Il faut vraiment que je lise Fante, l'autre monument auquel on l'associe souvent, et qui est son autre idole avec Céline....

Je vous passe en revue les nouvelles les plus mémorables à mon sens : "Maja Thurup", incontestablement, une histoire à pleurer de rire où une femme tombe amoureuse d'un cannibale bien membré ramené d'Amérique du Sud. "Politique", brûlot célinien à l'américaine contre l'absurdité de la guerre et de l'engagement politique et don quichottien contre un ennemi idéologique désigné (ce qui m'évoque évidemment la bien-pensance médiatique d'aujourd'hui). "Guerre et Taule", un peu dans le même esprit, où Chinaski préfère le confort de la taule aux déboires du quotidien et à l'envoi au front. "L'Amour pour 17,50 $", fantastique nouvelle où un type tombe amoureux d'un mannequin pour vitrine, avec une fin tragique. "Arrêtez de lorgner mes nénés, Mister", nouvelle western improbable où le protagoniste nommé Gros Gus essaie de conquérir une poule nommée Perle de Rosée par la taille de son engin. "À propos d'un drapeau vietcong", où des hippies anti-guerre du Vietnam se font ridiculiser par un énième avatar de Buko. "Le Diable était en chaleur", mémorable nouvelle mettant en scène le Diable en personne, prisonnier d'un forain. Les déboires de l'écrivain, avec "Tu sais pas écrire une histoire d'amour", "L'Expéditionnaire au nez rouge", ou "Voila ce qui a tué Dylan Thomas" (que j'ai découvert pour l'occasion, et c'est un plaisir de la littérature que des auteurs vous amènent à d'autres...). "Les Tueurs", histoire complètement absurde, à la fois horrible et drôle, d'un duo de cambrioleurs. "La Classe", nouvelle légendaire où Chinaski démolit sur le ring Ernest Hemingway, que Bukowski adorait chambrer et ridiculiser dans ses histoires autant qu'il l'admirait... "Un boulot comme un autre", où l'on flirte avec le roman noir. "Docteur Nazi", absolument hilarante, avec un docteur ancien nazi, une citation du tonnerre "Quand vous partez à la guerre, soit vous finissez dans un cercueil, soit vous finissez dans un fourgon à bestiaux avec les badauds qui vous balancent des étrons...." ainsi qu'une éruption de furoncles dans le cul, et un commentaire social sur la souffrance générale et l'absurdité même de faire la queue au supermarché.

Le recueil se termine par deux plus longues nouvelles. "Tous les trous du cul de la terre et le mien", assurément une de mes préférées du recueil, qui conte le séjour à l'hôpital de Chinaski, en proie aux hémorroïdes et aux pires détraquements intestinaux, torturé par un docteur allemand cette fois diabolique. La nouvelle reste très célinienne, de par la déchéance de tous les patients, et fait immanquablement penser au cabinet de Bardamu dans Voyage au bout de la nuit, même si chez Buko, on est véritablement terrassé par la maladie et le corporel, là où, dans mon souvenir de Céline, l'on va chez le médecin surtout pour lui confier sa misère existentielle, dans l'hypocondrie et la névrose généralisées. Enfin, "Confessions d'un homme assez fou pour vivre avec des bêtes" est une sorte de pot-pourri de saynètes semblables à certaines des nouvelles précédentes, mais l'on y retiendra notamment un boulot avilissant de porteur de bidoche où le double de Buko est humilié, essaie de s'accrocher face à l'absurde et à l'American Way of Life ne serait-ce que quelques heures, finalement pour être une fois de plus broyé et préférer retourner à la fuite dans la loose éthylique...

Il y a une véritable dénonciation sociale chez lui, c'est ce qui est formidable avec lui. Les déchéances de ses doubles fictifs ne sont que le produit de leur détestation de l'humanité, du capitalisme, du XXe siècle, du rêve américain, du travail atroce et/ou chaplinien... La seule raison qui m'a fait mettre 4 étoiles sur 5 est que certaines nouvelles finissent parfois en anti-climax décevant, et que même si je le compare à Gainsbourg ou Ellroy pour certaines choses, au niveau du style, ceux-ci vont avoir plus d'audace...

Ce site m'avait manqué, j'espère y être plus prolifique dans les semaines et mois à venir !
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